Elle fait de son mieux pour ne pas effrayer. Via de nombreux rapports et annonces gouvernementales, elle promet un regain de croissance, des emplois à long terme, une meilleure qualité de vie. Rien n’y fait. La Transformation Numérique effraie. En particulier les chefs d’entreprises établies, moins enclins à apprécier les nouveaux services offerts par des acteurs de type Airbnb, Uber ou Blablacar qu’à appréhender les risques que ces derniers font peser sur leur propre activité : seuls 36% des entreprises interrogées par Roland Berger consulting en 2014 avaient formalisé une stratégie numérique. L’attentisme prévaut.

Il faut dire que la violence des attaques déclenchées par certains nouveaux entrants a de quoi laisser sans voix, voire inciter à creuser des tranchées. Pas facile en effet  de se lancer à l’assaut des très agiles Amazon, Google ou Netflix, lorsqu’on traîne derrière soit une organisation en silos, les contraintes administratives et fiscales françaises et lorsque l’héritage d’une marque est solide et générateur de valeur.

Pour ne rien arranger, la Transformation Numérique est souvent présentée comme un véritable Big Bang, qui fera immanquablement des victimes – dont le chef d’entreprise incité à la mettre en œuvre ? – mais par lequel il est nécessaire de passer pour espérer des jours meilleurs. Roland Berger Consulting évoque ainsi « une révolution industrielle, comparable à celle de la mécanisation ou de l’électrification ». McKinsey, dans un rapport sur le même sujet paru en septembre 2014, parle d’une « rupture par rapport aux tendances et aux référentiels préexistants ».

Pas évident alors, pour beaucoup de dirigeants – des hommes de 53 ans en moyenne dans les sociétés cotées d’après l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises (IFGE), souvent seuls et peu formés aux enjeux du numérique – d’oser faire « le grand saut » de la transformation. D’autant qu’il manque souvent le mode d’emploi des recommandations que l’on retrouve partout, de type « repenser systématiquement sa proposition de valeur et son positionnement », «créer des lieux d’innovation ouverte », « s’ouvrir à son écosystème » etc. Et pourtant, il est plus que jamais nécessaire.

En ce début d’année, la première bonne nouvelle est que la Transformation Numérique, dans les entreprises qui osent, est plutôt une Transition. Loin du Big Bang si (justement) redouté, elle est en fait une succession de petits pas qui doivent chacun délivrer des résultats – en général un enchaînement de projets d’une durée constatée de neuf mois maximum, avec des objectifs aussi divers que l’amélioration des process internes, le développement des ventes croisées ou l’amélioration du service clients. Tous ces objectifs impliquent ensuite de recourir aux outils numériques – plus ou moins complexes selon les ressources de l’entreprise (incluent Cloud, Big data etc.) – mais il ne s’agit que d’outils…

La seconde bonne nouvelle est que toutes les entreprises françaises sont en mesure de faire ces petits pas. Au plus vite, car trop d’attentisme imposera plutôt un dangereux grand écart forcé dans le futur. A une condition néanmoins : que le dirigeant comprenne les nouveaux enjeux du secteur dans lequel il évolue et fasse marcher ses équipes de concert, avec lui. Une mission gouvernementale vient d’être lancée pour évaluer la pertinence de l’enseignement dispensé à Polytechnique. Espérons donc qu’elle prenne en compte cet impératif au niveau de la formation continue, qu’elle soit ensuite étendue à toutes les écoles qui accueillent nos élites – dont celle en trois lettres – et qu’elle produise plus qu’un simple rapport destiné à caler les étagères. Pour le coup ce serait… un véritable Big Bang.

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Olivier Derrien est Senior Vice President, France, EMEA, Salesforce