Les services publics numériques en santé : des avancées à amplifier, une cohérence à organiser
Les services numériques en santé sont un ensemble composé des services de santé en ligne, permettant aux usagers de réaliser une ou plusieurs démarches de manière dématérialisée, et des outils numériques de coordination des soins principalement destinés aux professionnels de santé. Ils ont vocation à permettre une meilleure information des patients, une qualité accrue de la prise en charge et une optimisation des parcours de soins.
Dans son Rapport public annuel de 2013, la Cour avait constaté une forte dynamique des téléservices en santé, mais relevé de nombreux retards et faiblesses, qui l’avaient conduite à recommander notamment aux pouvoirs publics de mieux piloter leur développement.
Des progrès réels mais inégaux
Cinq ans après ce bilan d’étape, les services visant à une meilleure information des assurés ont continué leur déploiement. C’est notamment le cas du site internet ameli.fr, portail unique des services en ligne mis à disposition par l’assurance maladie. De 10 millions de comptes assurés en septembre 2012, le service est passé à 25,3 millions de comptes en juillet 2017, avec en moyenne 13,2 millions de connexions par mois à la mi-2017.
Le développement des services visant à la coordination des soins est en revanche beaucoup plus lent. Le déploiement du projet phare du dossier médical personnel (DMP) avait été suspendu en août 2012. Cette décision a été suivie d’un attentisme coûteux de la part des pouvoirs publics : le transfert de ce projet sous forme de « dossier médical partagé » à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) n’a été effectif qu’au 1er janvier 2017. Pendant cette période, le seul maintien en conditions opérationnelles du système informatique sur lequel repose le DMP, alors pratiquement inutilisé, a occasionné une dépense de l’ordre de 35 M€.
En avril 2017, environ 10 000 DMP par semaine étaient créés, soit un chiffre supérieur de 40 % à ce qu’il était en 2012, pour un périmètre de déploiement aujourd’hui limité à 9 départements pilotes. L’usage du DMP par les professionnels de santé, en revanche, stagne.
Les avancées de la messagerie sécurisée de santé, essentielle à la coordination des soins entre professionnels de santé, restent encore très limitées. En avril 2017, seuls 53 000 boîtes à lettres et 900 établissements étaient raccordés au dispositif mis en place en 2013.
Le développement de services publics numériques en santé s’avère cependant d’ores et déjà source de gains d’efficience significatifs. Alors que moins de 80 % des feuilles de soins étaient électroniques en 2005, cette proportion s’élève aujourd’hui à 95 %, soit 1,4 milliard de feuilles de soins électroniques par an. La CNAMTS estime les gains d’efficience en résultant à 1 485 emplois à temps plein entre 2012 et 2016.
Des prérequis techniques à régler
L’enjeu de sécurité apparaît primordial et doit ainsi être intégré de manière prioritaire dans l’ensemble des chantiers informatiques en santé, tant au niveau national qu’au niveau des établissements de santé. De même, alors que chaque patient est connu actuellement par trois identifiants différents dans le système de soins, l’unification de l’identité numérique des patients doit être menée à bien, afin de permettre leur suivi médical malgré la diversité des professionnels et de leurs outils numériques.
Plus généralement, les systèmes d’information de santé doivent pouvoir échanger des données entre eux sans qu’un effort supplémentaire de « traduction » de ces données soit nécessaire. Des normes d’interopérabilité sont ainsi édictées par les pouoirs publics, mais leur corpus reste lacunaire. Surtout, aucune norme d’interopérabilité n’a jusqu’à présent été rendue opposable, ce qui les rendrait applicables de manière identique à l’ensemble des acteurs, et ce malgré les demandes en ce sens des industriels.
Mettre le numérique au service de la transformation du système de soins
Au-delà de cette nécessaire mise en cohérence, la stratégie numérique en santé doit surtout afficher comme ambition de contribuer à l’évolution des pratiques médicales et s’inscrire dans une optique de transformation du système de santé. Les services numériques en santé constituent en effet le socle indispensable de nouveaux services et de nouvelles pratiques de soins. Le développement de la télémédecine – la pratique médicale à distance – nécessite entre autres la mise à disposition de dossiers dématérialisés ou l’usage répandu d’une messagerie de santé sécurisée.
Faire du numérique un instrument de la modernisation du système de santé nécessite également de tirer beaucoup plus complètement profit du potentiel majeur des données de santé, qui constituent le support des services numériques. La principale base de données du système de santé, le système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM), est un outil sans équivalent au niveau international, mais qui reste insuffisamment médicalisé : les informations médicales sont encore, en majorité, consignées sur des prescriptions papier, inexploitables. Le développement de la médicalisation des bases de données, objectif ancien fixé par la loi, suppose une pédagogie beaucoup plus active pour modifier les comportements des professionnels de santé comme des patients. Apparaît en particulier souhaitable une incitation forte au développement de la prescription électronique : la France reste l’un des cinq derniers pays de l’Union européenne où elle n’est pas déployée.
Enfin, l’enjeu de la mise en place du DMP exige une vigilance active de la part des pouvoirs publics. Les possibilités offertes aux patients de s’opposer au renseignement de leur DMP ou de masquer certaines informations de leur dossier aux professionnels de santé – hors médecin traitant – limitent potentiellement l’intérêt de la généralisation de ce dossier. Elles gagneraient à être réexaminées au regard des résultats effectifs du déploiement en cours.
Recommandations
améliorer la médicalisation des données numériques de santé en examinant les conditions de mise en place d’un codage des pathologies en soins de ville et développer leur analyse ;
assurer l’apport effectif du dossier médical partagé aux parcours de soins, au besoin en réexaminant les possibilités de non renseignement de ce dossier ;
rendre opposables aux éditeurs de logiciels les référentiels d’interopérabilité et de sécurité et intensifier les travaux visant à compléter les corpus de normes existants.