« Le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et trente, et d’un coup de gosier si facile, qu’il semblait ne pas les sentir passer. (…) la cage montait du vide dans un même silence vorace. »
Emile Zola, Germinal
Les insuffisances du compte pénibilité
Si les conditions de travail ont évolué depuis les mines de Germinal, la pénibilité est loin d’être éradiquée de tous les emplois. Au point d’être actuellement au cœur de l’actualité. Depuis 2015, les salariés ayant exercé des tâches pénibles telles que le travail de nuit, le travail répétitif ou en horaires alternants peuvent cumuler des points échangeables contre des avantages : retraite anticipée, temps partiel sans perte de salaire…
A compter du 1er juillet, le compte pénibilité a été étendu à dix autres facteurs dont les postures pénibles ou les manutentions manuelles. Avant son entrée en vigueur, les organisations patronales s’inquiétaient à la fois de la difficulté à évaluer la pénibilité et du risque de « litiges » que les calculs d’exposition peuvent entraîner. Par exemple, le patron du Medef déclarait « nous ne savons pas comment faire le 1er juillet, donc nous n’appliquerons pas le compte pénibilité ». Etonnamment, très peu d’observateurs ont réagi au fait que ce dispositif se contente de compenser imparfaitement les effets de la pénibilité sans s’attaquer à la source du mal : la pénibilité elle-même. Et si la robotisation était la solution ?
Le rapport Gallois et la CGT font cause commune pour la robotisation
Fin 2012, le rapport Gallois déplorait de concert avec la CGT le faible niveau de robotisation de l’industrie française. Son discours était alors à contre-courant des nombreux autres rapports s’inquiétant de la place que le robot est amené à prendre au sein de la société. Les conséquences néfastes de la robotisation sur l’emploi font encore débat. En revanche, le coût – financier, social, humain – de la pénibilité au travail, lui, est certain. Les Troubles Musculo Squelettiques représentent à eux seuls, pour l’année 2014, 40 000 salariés atteints, un coût d’un milliard pour les entreprises, et dix millions de journées de travail perdues (soit l’équivalent de 45 000 emplois à temps plein !). Face à ce constat, l’assurance maladie a décidé d’agir en accordant des aides financières aux PME pour prévenir les risques. Prévenir le risque, c’est bien. Le supprimer, c’est encore mieux.
Les exemples de robotisation positive existent, et ils sont nombreux. L’exemple de l’agriculture est à cet égard édifiant. Les agriculteurs sont soumis à l’injonction de la compétitivité, tout en devant respecter l’environnement. Ces impératifs rendent leur métier difficile. Il n’est donc pas étonnant que le dernier salon de l’agriculture ait fait la part belle aux machines capables d’effectuer des activités pénibles. Parmi elles, OZ, robot conçu par la startup Naïo pour faciliter le désherbage. Capable de reconnaître les rangs de culture de faire demi-tour, l’engin opère un travail considéré comme fastidieux par les maraîchers. Dans ce cas présent, le robot est conçu comme un assistant de l’agriculteur. Il n’a pas pour vocation de prendre sa place, mais bien au contraire de le libérer de tâches laborieuses.
La logistique, épicentre de la pénibilité au travail
En matière de pénibilité, la logistique fait partie des secteurs figurant dans le viseur du Ministère du Travail. Cette branche de l’activité économique – classé par la CNAMTS comme secteur prioritaire pour la période 2009-2012 dans la lutte contre les TMS – a la particularité de concentrer la quasi-totalité des facteurs de risques existants. Du bruit à la manutention manuelle de charges en passant par le travail de nuit ou les postures pénibles. A cet impact humain s’ajoute le coût économique. En effet, le financement annuel du compte pénibilité devrait s’élever à environ 500 M€ en 2020 et à 2,5 Mds€ en 2040.
La robotisation est à même de répondre à ces enjeux. Une robotisation aux antipodes d’une automatisation anxiogène telle que la décrit Leroi-Gourhan : « la libération technique aboutit indiscutablement à une réduction de la liberté technique de l’individu » ou encore Marx : « dans la manufacture, l’ouvrier se sert de l’outil, dans la fabrique il sert la machine ». Par exemple des acteurs comme Système U ou Célio ont investi dans la mécanisation de leur entrepôt – convoyeurs automatisés et bras-robots – pour doper leur productivité et offrir un environnement de travail amélioré à leurs salariés. D’autres, ont fait le choix du « Goods to Man », un dispositif robotisé dans lequel la commande vient au préparateur non l’inverse. Loin d’être l’esclave de la machine, le salarié se trouve libéré de gestes parasites. Il n’a plus à marcher 15 kilomètres par jour, et le risque de TMS lié à certaines positions est drastiquement réduit ! Ainsi, le Goods to Man est aussi Good for Man en ce qu’il crée de la valeur à la fois sur le plan économique et social.
Il est grand temps aujourd’hui de parler de robotisation de manière dépassionnée et moins anxiogène. Non, le robot n’est pas l’ennemi systématique du travailleur. Et oui, il est peut-être son meilleur allié pour éradiquer la pénibilité de son emploi !
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Olivier Rochet est Président et fondateur de Scallog