Internet est partout, au cœur de nos usages personnels comme professionnels. Pourtant, selon certains observateurs parmi lesquels Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web, la mainmise de certaines plates-formes constitue un bug dans le système. Il estime ainsi, et depuis quelque temps déjà, qu’il est nécessaire de réparer son invention, afin de ne pas se retrouver dominés par une poignée d’acteurs tout-puissants. Dans les entreprises, la méfiance autour du partage de données n’est pas moins forte. Alors, plutôt que de partager nos données, si nous leur apprenions à collaborer ?

L’adage est connu : « lorsque c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit ». En ligne, en échange de quelques informations sur lui, qu’il accepte de communiquer, l’internaute accède à de nombreux contenus et services, pour la majorité, gratuits.

La valeur, les acteurs du Web vont donc la chercher dans ses données personnelles : un nom, une adresse e-mail, des centres d’intérêts, un numéro de téléphone… En le sachant ou pas, les individus deviennent les supports des informations qu’ils produisent, et le vecteur de transmission de ces informations de plateformes en plateformes.

De l’envie de reprendre la main sur nos données personnelles 

La CNIL soulignait néanmoins, en mai 2022, la réelle prise de conscience des citoyens à l’égard de ce sujet et leur volonté d’exercer plus fortement leurs droits conformément au RGPD. Est-ce le bon moment pour changer les règles du jeu ? Pouvons-nous encore reprendre la main sur nos données et réduire notre dépendance vis-à-vis des grandes entreprises américaines ou est-il déjà trop tard ?

Au sein du MIT, un projet nommé « Solid », conduit notamment par Tim Berners-Lee depuis 2015, cherche justement à redonner à l’utilisateur le contrôle plein et entier de ses données personnelles. Comment ? En les rassemblant, dans leur intégralité, au sein d’un dossier sécurisé ou Pod, que seul le propriétaire peut décider de partager.

Maîtriser totalement l’accès et le partage de ses données avec le Pod

Prenons un exemple concret. Imaginons que vous souhaitiez regarder une série sur votre plate-forme de streaming préférée. Une fois identifiée sur votre espace, vous connectez votre Pod, qui contient vos préférences et vos goûts en matière de films, le temps d’obtenir une recommandation personnalisée. Même principe lorsque vous recherchez une location pour votre prochain week-end sur une plate-forme de réservation.

Dès lors, la plate-forme web n’a plus aucune raison de collecter vos données. Elle n’a eu connaissance de vos informations personnelles que le temps de vous rendre le service. Évidemment, le système est sécurisé par un tiers qui garantit que les données ne peuvent pas être stockées sur les plates-formes. Les utilisateurs récupèrent ainsi le contrôle sur leurs informations et le choix quant à la manière dont elles sont utilisées. C’est une nouvelle relation entre les providers et les utilisateurs qui se tisse alors autour d’une démarche collaborative.

L’entreprise « data driven » sous contrôle

Bien que Solid soit encore en développement, des entreprises et organisations le testent déjà sur leurs applications. C’est notamment le cas du gouvernement belge et de l’agence gouvernementale britannique National Health Service (NHS). On la retrouve également en France, principalement dans le secteur bancaire.

Ce système les intéresse car à l’heure de l’entreprise « data driven », le partage de la donnée en entreprise devient incontournable. Chaque service est invité à partager ses data pour le bien commun. Celles-ci sont stockées dans des plates-formes centralisées qui, à l’instar des plateformes Web, ont besoin de ces données pour délivrer leurs services. Cette mise en commun de la donnée, représente un chantier titanesque pour les entreprises, et se heurte à la méfiance de certains départements qui refusent de jouer le jeu par peur de perdre la maîtrise de leurs données. Pour éviter toute fuite ou mauvaise utilisation, c’est donc une politique de « normalisation », de « standardisation » et de « contrôle » qui s’applique de façon implacable sur toutes les données, privant les métiers de savoirs essentiels.

Vers une gestion des données plus efficace et sécurisée grâce à la collaboration

Pour répondre à cet antagonisme, une start-up belge, Datavillage, a implémenté dans une plate-forme les principes de Tim Berners-Lee. On ne parle plus ici de « partage » mais de « collaboration » de données. Au-delà de la sémantique, c’est un véritable changement de paradigme auquel on assiste. Imaginez ainsi qu’il ne soit plus nécessaire de centraliser les données dans l’entreprise pour les partager. Chaque direction pourrait ainsi exposer ses « Pod » de data en fonction de la nécessité de coopérer avec les autres services de l’entreprise. Dans ce cas, on ne partage plus par défaut mais dans un objectif de collaboration.

Par ailleurs, cet échange d’informations ne dépend plus du travail d’un tiers – département IT, Data Office, BI… – mais bien de la contribution de chaque service au business model de l’entreprise. La maîtrise de l’information est totale, les finalités sont connues, chaque producteur de données reste maître de ses informations. Cette approche, beaucoup plus efficace, permet de valoriser les acteurs de l’entreprise, leurs savoir-faire et leurs connaissances. Plus fort encore, les données sensibles (RH, médicales, etc.) peuvent être mises à disposition sans que les services qui vont les consommer ne puissent les stocker. C’est la force du système : la collaboration plutôt que le partage !
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Par Samuel Descroix, Partner Data Thinking chez Micropole

 

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