Métavers, Intelligence Artificielle, croissance des données privées sensibles, défis géopolitiques… La culture de l’innovation comme solution pour ne pas être contraints de réglementer les avancées initiées par d’autres. La souveraineté numérique ne doit pas se limiter aux données et doit s’étendre aux infrastructures y compris réseau.

Face aux défis géopolitiques actuels, à la nécessité de respecter les strictes réglementations sur la gestion des données, ainsi qu’à la croissance des menaces et des besoins futurs associés aux vastes quantités de données privées sensibles, amplifiées par les avancées de l’Intelligence Artificielle et du Métavers, se pose la question cruciale de l’anticipation de l’émergence d’une capacité d’infrastructure souveraine.

Rien ne peut se faire sans les réseaux télécoms

Pour moi aujourd’hui, c’est une évidence que le point de départ c’est le Réseau. Le réseau est l’épine dorsale de l’économie et de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Il n’y a plus rien qui puisse vraiment se faire sans un rapport critique avec l’utilisation des réseaux télécoms par lesquels les données sont véhiculées.

Les objets sont connectés, les systèmes industriels reposent sur des jumeaux numériques et la plupart des opérations du quotidien utilisent le réseau.

Ce réseau, il n’est pas abstrait, il n’est pas virtuel… les données qu’il véhicule reposent sur une infrastructure réelle qui nécessite d’évoluer rapidement pour réussir à absorber une augmentation croissante de trafic de l’ordre de 20 à 30 % par an.

Dans le contexte de la guerre technologique et économique entre la Chine et les États-Unis, la question de la sécurité occupe une place prépondérante. Pour tendre vers une souveraineté, il faut disposer d’une maîtrise technologie de bout en bout et d’une réelle capacité d’approvisionnement.

La géopolitique et les récents conflits nous ont montré le risque encouru, celui d’être en situation de ne plus maîtriser les intrants de ces chaînes de valeur, ni même les composants.

Cela veut tout simplement dire qu’en cas de conflits, la chaine de valeur peut être complétement disruptée ou même bloquée : accès refusé à certains logiciels, pas de maintenance, pas de mises à jour voire plus d’approvisionnement des composants et des machines qui font vivre le réseau.

Le risque augmente dans son ensemble sur des zones extrêmement vulnérables à l’instar de Taïwan sur les semi-conducteurs.

Tout cela m’amène à réaffirmer qu’il y a un véritable enjeu de la maîtrise technologique de bout en bout des télécoms, de la localisation de la R&D, du manufacturing et également des compétences pour s’assurer de l’approvisionnement et ainsi du bon fonctionnement des réseaux.

La sécurité des infrastructures, un réel enjeu face aux risques systémiques

Jusqu’à présent ces variables avaient été ignorées parce que la situation n’était pas critique. Aujourd’hui, les risques systémiques sont avérés et la sécurité des infrastructures est en jeu. Ces défis engagent les DSI, les CTO et les directeurs techniques à faire des choix sur les 5 à 10 prochaines années. Et les attentes sont fortes de leur part.

C’est pourquoi la chaîne de valeur doit être en mesure de proposer des localisations sécurisées. Doivent-elles être nationales ? Européennes ?

Dans tous les cas, nous ne pouvons plus être dépendant, comme nous l’avons été de certaines zones du monde qui sont névralgiques aujourd’hui. Cela fait peser beaucoup trop de risques sur les organisations et les entreprises françaises et européennes.

Il est important de rappeler également que les compétences de haute technologie sont finalement très concentrées dans le monde. Cette réalité s’applique aux semi-conducteurs, à la maîtrise des télécommunications, ainsi qu’à la maîtrise du cloud, et cela constitue un poids significatif pour le continent européen.

Au-delà des constats, il faut désormais des actes pour reconquérir notre souveraineté.

Il faut agir pour que ces éléments clés de la chaîne de valeur soient repensés, relocalisés grâce à un écosystème proche de nous, qui peut assurer notre approvisionnement.

Les Américains ont compris plus tôt tout ce potentiel. Ils ont été capables il y a 20 ans de faire de l’innovation à grande échelle sur les webscalers. La réponse au déploiement de leur modèle au niveau des réseaux télécoms a été ensuite la Neutralité du Net.

Ce principe a libéré les plateformes les plus consommatrices de bande passante telles que Netflix. Bien que ses vidéos occupent à heure de grande écoute jusqu’à 2/3 du flux, l’entreprise ne paie pas ce modèle en termes d’infrastructures.

Certes, ce n’était pas forcément le choix de l’Europe de dire que la donnée est gratuite, mais le vieux continent n’était pas en position d’imposer un modèle

Mobiliser des capitaux et surtout prendre des risques pour innover

Désormais et pour définir la trajectoire future, il est impératif de posséder un modèle d’innovation très fort.

Cela implique de prendre des risques et de mobiliser des capitaux dès les premières étapes du processus. Bien sûr, la réglementation joue un rôle que nous maîtrisons, mais sans une véritable culture de l’innovation, nous serons toujours contraints de réglementer les avancées initiées par d’autres.

Plutôt que d’aménager et d’amortir les impacts, il est nécessaire d’adopter et développer dans le sens de la French Tech, des innovations de rupture à très grand échelle pour construire de nouveaux business model.

Cela passera aussi par un environnement d’innovation très fort porté par des grosses entreprises telle que la nôtre qui investit chaque année 4 milliards d’euros dans la R&D, représentant un des plus gros budgets R&D dans la chaîne de valeur digitale du numérique dans le monde.

Mais cela doit également impliquer des entreprises plus petites et moyennes qui vont tenter de se positionner sur l’intelligence artificielle et le métavers industriel.

Pour moi, la souveraineté repose sans aucun doute sur la capacité à prendre des risques et à innover.
____________________________

Par Pierre-Gaël Chantereau, Président-Directeur Général de Nokia Networks France avec Infralliance

 

À lire également :

Cloud & Souveraineté Européenne : Le Grand Débat Naugès / Garnier

Souveraineté numérique, cloud de confiance et SecNumCloud

« Il y a deux types de souveraineté, une fonctionnelle et une territoriale »

Mistral AI s’associe à Dassault Systèmes et Outscale pour une IA industrielle et souveraine

5 conseils pour préserver la souveraineté des données en alliant performance et sécurité

Jamespot, Wimi, Interstis, les « David » Français du Collaboratif face aux Goliaths américains