Au début de l’Internet, les trois Mousquetaires de l’Internet qui comme ceux de Dumas étaient quatre – Yahoo, eBay, Google et Amazon – nourrissaient les plus grands espoirs. Aujourd’hui ce sont les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon – qui semblent avoir remporté la mise.

L’Internet est le lieu de la démesure. Facebook a largement dépassé le nombre du milliard d’amis, Amazon a livré des milliards de colis, Google répondu à des milliers de milliards de requêtes et Apple est devenu la première capitalisation boursière. Ils semblent être le meilleur exemple de la formule devenue célèbre selon laquelle « the winner takes all ». Les GAFA représentent un chiffre d’affaires cumulé de 350 milliards de dollars en 2014, un montant comparable au PIB du Danemark, cela avec un peu plus de 250 000 salariés dix fois moins que de salariés employés dans le pays nordique.

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31 GAFACe nouveau groupe des quatre est hétérogène : Apple et Google d’un côté et Facebook et Amazon. Les deux premiers font preuve d’une réussite insolente. Apple a clairement eu plusieurs vies. De sa création jusqu’au milieu des années 85, date à laquelle les di31 GAFA 6vergences entre Steve Jobs et John Sculley pousse le premier à quitter l’entreprise. Entre 1985 et 1997, c’est la période Sculley seul qui ne connaît pas une très grande réussite et mène l’entreprise à une quasi banqueroute. C’est alors que Steve Jobs reprend les rênes de l’entreprise et prépare un retour qui ne sera pas immédiat mais sera explosif à partir des années 2004/05 et conduira à la situation que connaît Apple aujourd’hui basée sur la trilogie gagnante iPod/iPhone/iPad. Le dernier trimestre de l’exercice est historique puisque Apple a réalisé un chiffre d’affaires de 74,6 milliards et surtout un bénéfice net de 18 milliards, record toute catégorie basé sur la vente de 74,5 millions d’iPhone, un pour cent habitants sur la Terre. Un tel résultat a été possible grâce à une belle réussite sur le marché Chinois et a permis à Apple de recoller au numéro Un Samsung. Total, Apple a engrangé un trésor de 180 milliards de dollars de cash qui lui permet d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité et acheter quelques pépites.

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Google depuis son tout début et donne l’impression que rien ne lui résiste. Le dernier trimestre illustre assez bien l’évolution de l’entreprise : 18 milliards de dollars de chiffre d’affaires (15%) et 4,7 mds$ de bénéfice net (40%) et les marchés financiers font la moue. Un des problèmes de Google est qu’il est très dépendant des revenus publicitaires qui représentent encore près 90 % du total. Parmi les autres revenus, on peut citer les ventes de services cloud et d’apps et autres contenus dans le cadre Google Play. Malgré la solidité de son business model et de ses positions, Google reste dépendant de la publicité et du coût au clic. Google se veut une entreprise différente des autres. Lorsque ses dirigeants avaient annoncé leur entrée en bourse en juillet, ils avaient retenu une méthode un peu inhabituelle. Ils avaient par ailleurs indiqué aux analystes qu’ils ne fourniraient pas de prévisions pour ne pas tomber dans la tyrannie du court terme et de la publication des trimestriels. Le dernier trimestre montre combien les marchés sont à la fois très exigeants et réactifs.

Dernier arrivant du GAFA, Facebook a réussi à devenir en moins de dix ans une société de plus de 10 milliards de dollars de CA (12,4 en 2004). Et pourtant, les tentatives dans les réseaux sociaux ont été légion : MySpace, Friendster, Orkut, Bebo, Hi5, Cyworld et bien d’autres. Mais c’est Facebook qui a émergé pour devenir sans conteste le leader mondial. Dans cette évolution, deux décisions ont été marquantes : le lancement en 2007 de la Facebook Platform qui offre un cadre ouvert permettant à tous les développeurs de créer des applications pour interagir avec la plate-forme et la faire fructifier ; le lancement de Facebook Ads, un système de publicité dire comportementale où chaque membre devient agent publicitaire et ainsi contribuer à la réussite du système.

Dans cette bande des quatre, Amazon, a un profil un peu particulier dans la mesure où il fabrique rien et essaye de faire le lien le plus efficace entre le monde virtuel et le monde réel. Jeff Bezos avait prévenu aux débuts qu’il lui faudrait plus de temps que les pure players Internet pour devenir profitable car son activité nécessite des investissements considérables. La suite lui a donné raison car la profitabilité d’Amazon reste très en-deçà de celles des trois autres et se rapproche plus des sociétés traditionnelles. Le meilleur exercice, en 2010, reste très modeste : un bénéfice net de 1 milliard de dollars sur chiffre d’affaires de 34 mds$. Parmi les réussites, Amazon Web Services a fait de la société de Seattle l’incontestable leader du cloud public, loin devant des spécialistes de l’IT comme Microsoft. Amazon est toujours à la recherche de nouvelles activités, la dernière en date étant son incursion dans le monde des médias (sans compter le rachat du Washington Post par Jeff Bezos à titre personnel pour 250 M$). Le 19 janvier dernier, la firme de Jeff Bezos annonce la création de sa filiale Amazon Original Movies dans le cadre de l’entité de «production de contenus» Amazon Studios (Pourquoi Amazon se lance dans la production de films par le cinéma indépendant).

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Le GAFA va-t-il se transformer en GAFAT avec l’arrivée dans ce groupe de la société Twitter. Peut-être ? Aujourd’hui, Twitter est un devenu un géant planétaire, il ne se passe plus un événement mondial dans lequel le service de microblogging ne joue un rôle, a minima d’information. Mais cela ne s’est pas encore traduit en termes économiques car Twitter reste une « petite » entreprise qui a réalisé un chiffre d’affaires à peine supérieur à 1 milliard de dollars en 2013. Mais la capitalisation boursière de 23 milliards de dollars montre bien que la firme créée par Jack Dorsey est considérée comme très prometteuse.

Experts en technologies et en fiscalité

Au final, ces GAFA suscitent un sentiment d’admiration mais aussi de rejet lié « à la destruction de valeur qu’ils engendrent et de siphonage de la marge » selon l’expression utilisée dans le rapport Lemoine. « Partant de la capitalisation boursière actuelle des GAFA (1200 milliards de dollars[1]), il s’en déduit que les investisseurs attendent de ces quatre entreprises un profit annuel de 120 milliards de dollars en rythme tendanciel. On peut faire l’hypothèse que ce profit trouve sa contrepartie dans la destruction de valeur de certaines entreprises traditionnelles, dans une proportion de 1 à 3, soit 360 de dollars, le reste étant restitué au consommateur. La part de la France étant de 4 %, cela représenterait mécaniquement une ponction de 15 milliards. »

Si ces entreprises sont des champions des technologiques, elles sont aussi des expertes de ce que l’on appelle l’optimisation fiscale – euphémisme qui décrit faiblement la réalité. Et dans ce contexte, le cas d’Apple est emblématique. « Selon le Financial Times, la Commission européenne envisage d’infliger une amende de «plusieurs milliards d’euros» à la firme américaine. Celle-ci, qui a installé cinq filiales à vocation internationale sur le sol irlandais, serait accusée d’avoir conclu un accord fiscal avec le gouvernement local. Ce pacte aurait permis à Apple de bénéficier d’aides d’Etat réduisant son imposition à «moins de 2%», contre un taux normal de 12,5% en Irlande. L’arrangement serait effectif depuis plus de vingt ans[2] ». Le problème est donc loin d’être résolu. La semaine dernière encore, une interview de Fleur Pellerin de la ministre de la Culture au journal Les Echos[3] déclarait « étudier différentes pistes » pour faire participer les géants de l’internet (Netflix, Google, Amazon…) au financement de l’audiovisuel en France et espère « trouver une solution » d’ici 2016. Affaire à suivre et qui dépasse de loin le simple enjeu de l’audiovisuel.

GAFAnomics: New Economy, New Rules : une étude du cabinet FaberNovel

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[1]
1424 milliards de dollars au moment où cet article est écrit
[2] Une «iAmende» à plusieurs milliards pour Apple ? Libération – 29 septembre 2014
[3] Fleur Pellerin : «La situation actuelle de l’audiovisuel n’est pas un bon statu quo»