Le projet de métacloud européen Gaia-X a du plomb dans l’aile. En retard, tiraillé entre les bonnes intentions et les réalités économiques, entre les manœuvres stratégiques des uns et les envies de pouvoir des autres, le projet voit déjà ses premières défections.

Gaia-X… Sur le papier, l’idée d’un métacloud européen offrant un socle de services commun afin d’assurer la promesse de réversibilité et d’interopérabilité avait de quoi séduire.

Mais le projet semble aujourd’hui vivre un moment charnière. En retard, mais surtout freiné par ses vastes ambitions et les objectifs stratégiques contradictoires de ses membres, Gaia-X n’a plus vraiment le vent en poupe. D’autant que les gouvernements qui avaient tant appelé à sa création n’y accordent plus vraiment d’intérêt.

Typiquement, dans son plan Cloud, la France a préféré jouer la carte de son « Cloud de confiance » et de la certification SecNumCloud, et par la même occasion soutenir des initiatives purement françaises, plutôt que de jouer celle de Gaia-X. Et dans les discours politiques, le mot Gaia-X n’a plus été prononcé depuis bien longtemps.

Parallèlement, les opérateurs bougent chacun de leur côté mais finalement assez loin de Gaia-X.
Premier exemple parlant, OVHcloud – qui avait été l’un des moteurs de l’initiative au tout début – a annoncé cette semaine publier le code source de son cloud à commencer par les briques IAM, KMS, les API de catalogue de services, puis ultérieurement la plateforme PaaS. En procédant ainsi, OVHcloud veut faciliter les interopérabilités mais le fait au final hors du cadre Gaia-X, donnant l’impression de s’être fatigué des tergiversations au sein du métacloud.

De son côté, Stanislas de Rémur, PDG d’Oodrive, confiait récemment dans Siècle Digital, « ne plus être très sûr que le projet Gaia-X aide notre indépendance numérique ».

Mais le premier coup potentiellement mortel a été porté par 22 sociétés européennes – dont BlueMind, Jamespot, Nexedi, Nextcloud, Abilian et Scaleway – qui, en Juillet 2021, ont annoncé l’European Cloud Industrial Alliance « Euclidia » qui n’est finalement rien d’autre qu’un concurrent à Gaia-X.

Dans une froide logique, Scaleway a annoncé hier sa volonté de se retirer de l’initiative Gaia-X. Yann Lechelle, DG de Scaleway, a ainsi confirmé que « Scaleway ne renouvellera pas son adhésion (NDLR : de 45 000 euros) à GAIA-X. Les objectifs de l’Association, quoique louables au départ, sont de plus en plus détournés et contrariés par un paradoxe de polarisation ayant pour conséquence de renforcer le statu quo, c’est-à-dire une concurrence déséquilibrée. Scaleway choisit de consacrer son temps, ses capitaux et son attention à améliorer son offre multicloud, un facteur clé pour une véritable réversibilité et ouverture. »

« Consacrer son temps et ses capitaux à améliorer son offre multicloud » semble aussi être devenu le leitmotiv des autres opérateurs cloud européens comme OVHcloud et T-Systems mais aussi des nouveaux projets que son « Nua.ge », « Bleu » ou l’initiative « Thalès/Google Cloud ».

Le problème, c’est que Gaia-X ne répond pas vraiment à l’idée de « cloud de confiance » du gouvernement Français ni des initiatives similaires en Allemagne ou en Italie. Et la lourdeur administrative et de la chaîne de décision de Gaia-X semble très incompatible avec la célérité à laquelle les différents acteurs du cloud évoluent et ont besoin d’évoluer.

Cette porte violemment claquée par Scaleway résonne donc fort. On pressent aisément qu’il suffirait encore d’une ou deux autres défections de cet ordre pour voir l’édifice Gaia-X s’effondrer.
L’annonce de Scaleway n’est pas tombée n’importe quand mais le jour d’ouverture du Gaia-X Summit 2021. Un sommet qui, pour l’instant, n’a pas produit d’annonces retentissantes. Une roadmap mise à jour doit bien être présentée dans la journée mais personne ne semble en attendre grand chose. Par ailleurs, Gaia-X doit dévoiler ses premiers labels prochainement mais là encore ceci paraît aujourd’hui assez dérisoire.

Rien n’est encore écrit dans le marbre. Gaia-X reste un beau projet et continue, aussi, d’avoir ses indéfectibles soutiens. Mais l’initiative va rapidement devoir arriver à des résultats tangibles pour survivre. L’heure des premiers renouvellements d’abonnements approche, et le risque de voir d’autres entreprises suivre les traces de Scaleway augmente de jour en jour. Les prochaines semaines devraient être critiques pour l’avenir du métacloud…