Condamnation par la CNIL, menace d’amende par le gouvernement français pour évasions fiscales, bras de fer avec Bruxelles, Google a-t-elle des raisons de s’inquiéter ?

L’amende de 150 000 euros infligée par la CNIL pour manquement à la loi « Informatique et libertés » est à la fois dérisoire pour Google pour qui cette somme ne dépasse pas l’épaisseur du trait mais importante car elle est la première de ce type et sonne peut-être la fin de la récréation pour l’ensemble des sociétés de l’Internet. Celle de Bruxelles était beaucoup plus sérieuse sur le plan financier. La question en cause est l’abus de position dominante selon laquelle Google fait passer ses propres services avant ceux de ses concurrents.

Dans une conférence réunissant les 5000 cadres de l’entreprise en septembre 2013, le Pdg de la SNCF Guillaume Pepy n’avait pas mentionné une seule fois le nom de Deutsche Bahn, la société des chemins de fer allemands : « Le joueur à marquer de près, désormais, c’est Google et ses avatars, les champions de l’économie de la connaissance des masses de données en provenance des marchés » avait-il alors déclaré.

« Les géants du Net réinvestissent l’avantage fiscal et social dont ils bénéficient dans les prix proposés aux consommateurs bénéficiant ainsi d’un avantage concurrentiel significatif », explique le rapport que vient de publier le cabinet PNC (Economie numérique et emploi en France : L’exemple  de  Google) qui affirme que la firme californienne mettrait en danger entre 4000 et 12 000 emplois sur l’Hexagone.

« Pour être encore plus clair, leur avantage fiscal leur permet de dominer des entreprises françaises ou européennes qui elles, payent leurs impôts et leurs charges sociales en France ! Plus qu’un paradoxe, nous sommes en présence d’une étonnante rupture d’égalité entre concurrents ».

Et la menace est pour des concurrents dans de nombreux domaines : des pure players comme C-discount, des spécialistes de la vente à distance, des offreurs de services comme voyages-sncf.com ou des distributeurs comme la Fnac.

Mais le problème est que, après trois années de négociations avec l’Europe, Google a obtenu un accord amiable dans lequel il s’engage à faire quelques concessions. « Aucune autre autorité de la concurrence dans le monde n’avait obtenu de telles concessions » avait déclaré mercredi dernier le commissaire européen chargé de la concurrence Joaquim Almunia. Mais à part un vague engagement sur quelques points mineurs (Grand Coalition – Pledge of Google), on ne voit pas vraiment les concessions faites par Google pour remédier à ce problème.

Google semble beaucoup plus habile que ses prédécesseurs Microsoft et Intel qui s’était vu infligés une peine de respectivement 2 et 1 milliards d’euros. Problème préoccupant car Google possède un quasi-monopole avec 90 % de parts de marché des recherches sur Internet sur le Vieux Continent. A côté, l’affaire des navigateurs semblait plutôt futile.

Parallèlement à ce problème d’abus de position dominante qui concerne spécifiquement Google, la société éponyme participe comme beaucoup d’autres sociétés étrangères baptisées pudiquement « optimisation fiscale ». Et là Google est en bonne compagnie. En faisant un calcul sur 5 entreprises seulement (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), le rapport du cabinet PNC évalue un chiffre d’affaires déclaré sur lequel est calculé l’impôt sur les bénéfices de 5 à 10 fois inférieur au chiffre d’affaires réel. D’où un manque à gagner d’environ 800 M€.

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Selon le rapport, Google a adopté une stratégie évolutive en cinq étapes qui fait qu’on ne l’a pas vraiment vu venir et qui va complètement à une fausse idée reçue que sur Internet on n’est qu’à un seul clic d’un autre site :

  1. Google  comparateur  de  prix  classique
  2. Le  Bundling  :  Les  offres  de  produits  sont  assemblées  dans  un  écosystème  propre  à  Google
  3. Google  introduit  un  outil  de  référencement  payant  aux  cotés  de  son  comparateur
  4. Google  shopping  ;  le  comparateur  disparait  et  seul  subsiste  un  outil  d’enchères  payantes
  5. Google  créé  des  frictions,  des  barrières  d’entrée  pour  accéder  aux  offres  alternatives.  Les  consommateurs  sont  captifs.

Pour améliorer un peu plus ses performances, Google, comme d’autres acteurs du Net, fait appel à l’oculométrie (qui ne signifie pas que Google à du culot !) qui consiste à enregistrer et analyse le placement oculaire sur une page web et donc à optimiser le placement des éléments importants. Et sans grande surprise, Google place dans les zones les plus regardées ses publicités et ses propres produits.

Comme le résume François Monboise, président de la FEVAD (Fédération de la vente à distance) cité dans le rapport, « ce qui se dessine aujourd’hui, c’est une vraie perte de souveraineté des entreprises exposées aux grands opérateurs internet ». La conclusion du rapport est sans appel : « Google  est  la  porte  d’entrée  du  web,  Google  organise,  dans  une  illusion  de  neutralité,  la  capture  des  usagers  au  profit  de  ses  services ».  Dans une interview à BFM TV, l’auteur du rapport Pascal Perri parle de « droit de cuissage numérique », une formule sans doute extrême mais peut-être nécessaire pour montrer l’ampleur du phénomène.

Google est beaucoup plus qu’une société informatique, explique Laurent Alexandre, président de la société de séquençage de génome DNA Vision dans une interview au JDD. Les principaux acteurs de la robotique viennent de la comprendre, mais trop tard. Google a déjà racheté les meilleures entreprises au meilleur prix. Et les domaines d’intérêt de Google sont très larges : intelligence artificielle, internet des objets, énergie, voiture connectée, nano-biotechnologies…

 

Lors de sa visite surprise au siège du site Vente-privée.com à La Plaine Saint-Denis la semaine dernière, François Hollande avait dénoncé l’optimisation fiscale à laquelle se livrent plusieurs géants de l’IT américain (IBM adepte du sandwich hollandais). Si l’on en croit le site d’informations Bloomberg, la majorité des bénéfices enregistrés dans la zone EMEA, en Asie et dans une partie de l’Amérique transitent par une filiale domiciliée aux Pays-Bas : IBM Holding Europe BV. Résultat : une optimisation fiscale des plus efficaces et ce depuis une vingtaine d’années.

Dans cet exode fiscal, le dernier en date est Yahoo ! : A partir du 21 mars prochain, l’ensemble des services seront fournis à partir d’une seule entité européenne, basée en Irlande expliquait la firme californienne à ses clients européens. Si la raison n’est pas officiellement fiscale, il se trouve que le taux d’impôt sur les sociétés est un des plus bas d’Irlande avec 12,5 %.  Ceci explique-t-il cela ?