« Il ne reste plus beaucoup de temps pour nous réarmer d’une politique économique adaptée à la transition numérique ». Tel est le message que porte Nicolas Colin, Inspecteur des finances, cofondateur de TheFamily.
Le rapport La richesse des nations après la révolution numérique est ambitieux car il rappelle évidemment le titre d’Adam Smith[1] souvent considéré comme l’un des premiers ouvrages de l’économie. « Le numérique dévore le monde » écrivait Marc Andreessen[2] dans un article du Wall Street Journal rappelle Nicolas Colin dans son rapport qui écrit en écho que « Demain toute l’économie sera numérique (…) La transition numérique, déploiement d’un nouveau paradigme de filière, a un impact global sur l’économie et ses institutions ». « Si tu fais deux jours de suite la même chose, le troisième jour un logiciel le fera à ta place ». C’est le paradigme dans lequel nous sommes qu’expliquait Daniel Cohen, Directeur du département d’économie de l’École normale supérieure, en présentant son livre Le Monde est clos et le désir infini.
Dans une récente note intitulée Four fundamentals of workplace automation, le cabinet McKinsey considère qu’avec les technologies actuelles, 45 % des activités pourraient être automatisées. Et si les technologies qui traitent et comprennent le langage naturel atteignaient le niveau médian des capacités humaines, ce seraient 13 % d’activités qui pourraient être également automatisées. En fait, les auteurs de la note expliquent que si nombre d’emplois peuvent être automatisées ils pourraient l’être partiellement, 5 % seulement pourraient l’être complètement c’est-à-dire que des robots ou équivalents pourraient remplacer des humains. Le schéma ci-dessous propose une répartition des emplois selon deux variables, d’un côté le salaire horaire et de l’autre la proportion d’automatisation des emplois.
Cette transition numérique bouscule donc tout sur son passage. Mais un des problèmes est que « les élites de notre pays peinent malheureusement à comprendre ce phénomène et ces conséquences » considère Nicolas Colin qui fait montre d’un certain pessimisme « car la France a un retard considérable face à celle nouvelle économie qui se caractérise par des rendements croissants, la destruction d’emplois et le creusement des inégalités sur des territoires données et entre territoires. Les pouvoirs publics, loin de préparer l’avenir, se bornent souvent à défendre les entreprises en place et à étouffer dans l’œuf les innovations de rupture qui, seules, permettraient de faire grandir des géants français de l’économie numérique. Et si la société numérique « n’est ni de Gauche, ni de Droite, mais la première y voit un moins-disant social tandis que la deuxième met en garde sur la mise en cause des corporations ».
« Ce n’est pas le gouvernement dans son coin qui peut penser tout seul ces changements », expliquait Emmanuel Macron la semaine dernière lors de la présentation de sa future loi NOE (Nouvelles Opportunités Economiques). « Pourquoi ? Parce qu’on a besoin d’un diagnostic partagé, d’essayer de comprendre ce qui est à l’œuvre, de comprendre ce qui vient de se jouer et est en train de se jouer, et puis ce qui va se jouer dans les prochaines années. Parce qu’il faut bien le dire, on n’a pas très bien réussi en France la bataille de la robotisation. On a un autre rôle dans la bataille du numérique ». Une déclaration un peu étonnante qui donne l’impression qu’on entrerait seulement dans le numérique alors qu’on y est pleinement impliqué depuis déjà bien longtemps et que de nombreuses cartes sont déjà distribuées.
Nicolas Colin se penche plus particulièrement sur les conséquences de cette transition numérique sur l’organisation du travail et les nouvelles formes du travail qui doivent être mises en place. Sur le premier point, on devrait observer un rapprochement entre d’un côté le salariat qui était la forme prédominante de l’économie fordiste, s’est largement imposée et apporte avec elle une protection sociale et de l’autre le travail indépendant qui n’offre pas grand-chose en matière de protection. Le discours ambiant qui magnifie cette dernière forme de travail liée à la montée en puissance des plates-formes numériques doit être pris avec beaucoup de précaution car bien souvent elle est synonyme d’une précarité plus grande. Et contrairement aux idées reçues, la proportion de travailleurs indépendants est très loin de ce qu’il était en 1970, notamment en raison de la disparition d’une proportion importantes des agriculteurs et des commerce de détail. « Ces deux univers vont devoir se rapprocher et l’on doit s’attacher à un trouver un nouvel équilibre », estime Nicolas Colin. Et l’abaissement important du ticket d’entrée, la plus grande facilité de créer une entreprise et l’air du temps ont clairement entraîné une multiplication des startups.
C’est dans ce contexte qu’il convient de concevoir et de définir une nouvelle protection sociale car l’économie numérique génère de nouvelles familles de risques qui ne sont pas couverts par les systèmes assurancielles traditionnelles. Parmi ces nouveaux risques, Nicolas Colin en pointe deux sans prétendre à être exhaustif. D’abord la transition numérique va causer une concentration des activités et des emplois dans des zones de plus en plus denses entraînant une augmentation continue du prix de l’immobilier. La réponse se trouve dans la mise ne place d’une assurance-logement déployée à la hauteur des besoins.
Un autre risque appelé à devenir plus critique dans l’économie numérique est l’intermittence. Sachant que ce risque se conjugue bien souvent au précédent. Dans cette économie numérique, les individus auront des parcours professionnels beaucoup moins linéaires passant successivement ou simultanément aux états de salariés, travailleurs indépendants, vacataires, entrepreneurs, bénévoles, utilisateurs d’applications de l’économie collaborative. Une réponse possible pour y pallier serait de s’inspirer du modèle des intermittents du spectacle.
Appelant à une offre d’assurance universelle, Nicolas Colin considère que « la protection sociale est un chantier central et prioritaire de la transition numérique ».
[1] Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
[2] Marc Andreessen a développé Mosaic, le premier navigateur Web complet, est le fondateur de Netscape et aujourd’hui investisseur. En fait le titre de l’article Why Software Is Eating The World vise à montrer la prépondérance du logiciel sur le matériel.