Si le numérique est indispensable à la transition écologique, il n’en demeure pas moins, selon l’avis du Sénat, qu’aux « gains environnementaux indéniables de ce secteur en très forte croissance sont associés des impacts directs et quantifiables en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation des ressources abiotiques, de consommation d’énergie et d’utilisation d’eau douce ». A ce titre, les initiatives individuelles visant à prendre conscience de cette problématique et engager des démarches d’écoconception ont toute leur importance. Mais en raison de la complexité des éléments à prendre en considération, l’initiative collective est la clé d’une économie numérique plus responsable.
Le lundi 15 novembre 2021, le Président de la République a promulgué la loi n° 2021-1485 visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Le texte « vise à orienter le comportement de tous les acteurs du numérique, qu’il s’agisse des consommateurs, des professionnels du secteur ou encore des acteurs publics, afin de garantir le développement en France d’un numérique sobre, responsable et écologiquement vertueux.”
D’ores et déjà, beaucoup d’entreprises se sont engagées dans une démarche responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Définie par la commission européenne comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes », cette démarche s’inscrit dans une prise de conscience de la nécessité de repenser les modes de fonctionnement qui ont présidé pendant les dernières décennies. En France, la loi pacte de 2019 intègre elle aussi cette notion puisque l’article 1833 du code civil est complété par un nouvel alinéa précisant que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La meilleure compréhension — avec pour objectif final la meilleure maîtrise — de leur empreinte écologique compte parmi les principaux enjeux environnementaux des entreprises.
Mieux comprendre l’empreinte carbone de ses systèmes d’information
Encore faut-il pouvoir la définir, identifier les indicateurs, et les outils de mesure de cette empreinte écologique et connaître les bonnes pratiques qui permettent de la réduire.
La définition de l’empreinte écologique est assez floue, mais on peut la synthétiser comme la « pression exercée sur la nature par une activité humaine ».
Dans ce concept, il est possible d’intégrer des éléments variés qui s’étendent de l’artificialisation des sols, à la biodiversité et aux terres rares, jusqu’à la consommation d’énergie.
Dans le domaine de l’économie numérique, on se concentre plus volontiers sur la question des gaz à effet de serre, principaux responsables du réchauffement climatique, et donc sur l’empreinte carbone.
Deux outils permettent de mentaliser l’empreinte carbone de l’économie numérique.
Le premier outil de mesure utilisé pour estimer une empreinte écologique est l’équivalent carbone. Il s’exprime en kilogrammes ou en gramme équivalent CO2. S’il ne mesure pas que le CO2, mais aussi différents gaz à effet de serre — il y en a beaucoup — il est le plus souvent rapporté à un facteur CO2. Ce critère est utilisé comme un outil abstrait dont l’objectif est d’aider à réfléchir, à comparer et à agir.
Cette représentation rend l’équivalent CO2 assez simple à utiliser et permet de dresser des comparaisons assez intéressantes.
Par exemple, en matière de mesure, le référentiel classique consiste à estimer qu’un aller-retour Paris-New York pour une personne équivaut à une tonne de CO2.
Une tonne de viande de bœuf équivaut ainsi à quatre tonnes de CO2.
Le Français moyen produit, à peu près six tonnes de CO2 par an.
Le second outil de mesure est très concret, et également assez simple. Il s’agit du PUE, le Power Usage Effectiveness. Il concerne le datacenter et est estimé en divisant la consommation globale du datacenter par la somme de toutes les consommations de tous les appareils. En France, il s’élève en moyenne à 2,5, ce qui signifie que pour un watt consommé par un équipement, il faut 2,5 watts qui rentrent dans le datacenter. Cela s’explique par le fait qu’un serveur chauffe et qu’il faut le refroidir, ce qui consomme de l’énergie. Le PUE de certains datacenters modernes, situés dans des zones géographiques adaptées, descend à 1,5 et certains qui fonctionnent avec des systèmes de refroidissement spécifiques (freecooling, refroidissement adiabatique), descendent jusqu’à 1,1.
Ces derniers représentent l’exception, plutôt que la règle.
Une fois les outils présentés, il convient de différencier à l’impact écologique du matériel (hardware) de celui de son exploitation par des logiciels (software).
Pour un serveur d’entrée de gamme, qui consomme environ 1700 watts par kWh par an, sachant que le facteur d’émission en France est à 53 grammes (le plus bas du monde puisque notre énergie est basée pour l’essentiel sur le nucléaire), et qu’un datacenter classique affiche un PUE de 2,5, on estime donc à 225 kgCO2eq l’empreinte carbone de ce serveur par an.
Évidemment, il faut aussi comptabiliser l’empreinte carbone équivalente à la fabrication du serveur, soit 1,3TCO2eq pour un serveur d’entrée de gamme, d’après les informations fournies par le constructeur.
La disparité est énorme, et il faut se rendre à l’évidence que le coût environnemental de la fabrication du matériel dépasse de loin celle de son utilisation.
Pour autant, il faut aussi réfléchir au cycle de vie d’une instance applicative, à sa durée de vie : si elle tourne dix ans, il sera peut-être nécessaire de renouveler le matériel. Il faudra peut-être multiplier les équipements avec — par exemple — deux instances en primaire, en secondaire et puis trois instances préproduction, développement, qualification, sauvegardes, etc. Le pays où est hébergé le serveur a son importance (facteur énergétique), l’utilisation — ou non — de solutions de virtualisation compte tout autant.
Tous ces facteurs influent énormément sur la consommation d’un système et son empreinte écologique.
Aussi difficile que cela puisse paraître, calculer le poids carbone des instances, des serveurs et des applications — dans un processus itératif — permet de mesurer, et de comprendre l’impact des choix effectués, pour ensuite optimiser.
Le choix du matériel, la localisation du datacenter, son PUE, l’hygiène des développeurs en matière de provisionnement et de décommissionnement, la réflexion sur les usages, sont essentiels.
Il faut tenter de dimensionner les systèmes le plus justement possible, essayer de mutualiser les ressources, afin d’éviter que des ressources soient insuffisamment exploitées. À partir de là, il faut ensuite effectuer une analyse, et appliquer une méthode. La méthode d’analyse et d’optimisation par couches, depuis la couche la plus basse, la couche matérielle, jusqu’à l’applicatif en passant par le système d’exploitation, la base de données…. Pour chacune de ces couches, il convient d’identifier quels principes peuvent être appliqués.
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Par Damien Clochard est le co-fondateur de la société DALIBO