Après une longue traversée du désert, les questions industrielles sont de plus en plus au cœur des débats économiques alors que l’industrie française continue à perdre du terrain. Comment les technologies de l’information participent-elles à la renaissance de l’industrie ?
En 2001, lors d’une conférence de presse, Serge Tchuruk alors patron d’Alcatel, alors fleuron des télécoms françaises, lançait le terme de fabless pour dessiner l’avenir de son entreprise et définir l’objectif poursuivi. Cette déclaration pour le moins malheureuse et dont on connaît les résultats depuis reflétait alors l’état d’esprit de l’époque. Certaines entreprises continuent une telle stratégie avec plus de bonheur mais pour combien de temps ? Depuis une vingtaine d’années sous l’impulsion successive de ces trois derniers présidents – Lou Gertner, Sam Palmisano et Giny Rometty – IBM se désengage peu à peu de toutes les activités industrielles. Aujourd’hui, la fabrication de serveurs ne représente plus que 15 % du chiffre d’affaires de Big Blue.
Mais cette évolution a mené l’économie française où l’on sait avec une perte de compétitivité et un recul régulier de notre industrie face à la concurrence internationale. Depuis quelques temps, on ne parle que des pertes des centaines de milliers d’emplois dans le secteur industriel. « Même les chiffres sont exagérés car il faut dans cet ensemble il faut inclure l’industrie et les services à l’industrie », précise Christian de Boissieu, professeur d’économie à l’Université Paris 1.
« Le déclin industriel n’est pas nouveau, rappelle Thierry Weil, membre de l’Académie des technologies et professeur à l’Ecole des Mines Mais et coordonnateur de la quarantaine d’experts qui ont planché sur ce rapport. On peut le dater au début des années 70 dans les pays développés ». A l’inverse, certains pays comme la Corée ou la Chine sont devenues des puissances industrielles de premier plan. Après plus de trois décennies de désengagement, l’industrie redevient un enjeu de société reconnu comme essentiel à la santé économique de notre pays et à l’emploi. C’est dans ce contexte que l’Académie des Technologies a voulu apporter sa pierre à l’édifice en publiant un rapport dans lequel elle détaille les moyens de favoriser la renaissance industrielle sous des formes adaptées aux nouveaux enjeux.
Ce rapport insiste sur l’importance des réseaux et des écosystèmes pour mettre en place une nouvelle forme d’innovation que Gérard Roucairol qualifie d’ « innovation système » susceptible de relancer la croissance et l’emploi. Cette nouvelle forme d’innovation « permet de développer des fonctionnalités ou des services nouveaux qui soient à la fois personnalisés pour répondre à des besoins d’individus ou de collectivités … et exportables, c’est-à-dire reproductibles en masse, qu’il s’agisse des composants de ces systèmes ou des systèmes eux-mêmes.
Ces grands écosystèmes regroupent autour un industriel, des fournisseurs de composants, des sociétés de services, des PME. Ils s’appuient sur des plates-formes ouvertes et coopératives. Cette innovation système, explique le rapport, permet notamment de faire évoluer de faire évoluer, moderniser, enrichir ou créer de grands systèmes sociétés (santé, transport, urbanisme..). Elle entraîne une dé-verticalisation des chaînes de valeurs industrielles. Et dans cette évolution, les technologies de l’information jouent un rôle majeur : des débits toujours plus élevés, des normes qui s’imposent, des microprocesseurs toujours plus performants constituent les principaux moteurs permettant le développement de ces technologies.
Pour favoriser cette renaissance, l’Académie propose d’actionner 3 leviers principaux :
1/ Développer les écosystèmes : près de dix ans après leur création, les pôles de compétitivité, ont favorisé la montée en puissance de nouveaux champions industriels. Les PME membres des pôles nouent beaucoup plus de partenariats à l’étranger sur un projet innovant que les autres PME : 20 % contre 2 %. Les pouvoirs publics doivent favoriser le développement de nouveaux écosystèmes, qui sont le principal levier pour « repeupler » industriellement le territoire national.
2/ Redonner de l’attractivité aux carrières industrielles : l’industrie offre des emplois qualifiés bien rémunérés, mais propose trop peu de possibilités d’évolution aux jeunes issus des filières professionnelles et techniques. On aurait pu penser que la crise financière aurait refroidi les vocations des jeunes diplômes des plus grandes écoles et les aient à nouveau intéressé à s’engager dans d’autres secteurs. « Mais force est de constater que les salles de marché attirent toujours les esprits les plus brillants », déplore Christian de Boissieu. Pour attirer les élèves vers les métiers de l’industrie et vers des formations en alternance très enrichissantes, il faut mettre en place, comme chez nos voisins suisses ou allemands, une gestion des ressources humaines active détectant les potentiels, valorisant les expériences acquises et favorisant la formation tout au long de la vie.
3/ Définir un cadre réglementaire et fiscal favorable et stable qui encourage l’investissement dans des projets industriels. L’écart entre les efforts de financement des projets industriels aux États-Unis et en Europe est immense. Soumises au durcissement des contraintes réglementaires, les banques accorderont moins de financements à long terme, notamment aux PME. Il est donc urgent d’encourager l’épargne de proximité et plus généralement les investisseurs qui acceptent d’immobiliser et de risquer leur capital dans un projet d’entreprise par une fiscalité favorable.
Comme le souligne Christian de Boissieu : « il faut accepter de rémunérer le risque : de ce point de vue, il n’existe pas, en France, de différenciation suffisante entre ce qui est risqué et ce qui ne l’est pas. Ce problème n’est pas nouveau, il était déjà posé quand j’étais étudiant ».
Ce rapport est un plaidoyer pour la technologie et le progrès technique, et prône la mise en place d’une nouvelle forme d’innovation : l’innovation système, qui devrait privilégier une « dé-verticalisation » des chaînes de valeurs industrielles. En effet, l’importance de produire en masse conduit les entreprises à se concentrer sur certaines étapes de la chaîne de valeur, l’innovation finale étant produite par un intégrateur.