Pendant des années, la bataille juridique opposant SCO et IBM autour d’Unix a animé le microcosme informatique. On croyait la hache de guerre définitivement enterrée depuis 10 ans… Que nenni !
Qui se souvient encore de SCO (Santa Cruz Operation) ? Cette société est bien plus connue pour son procès-fleuve contre IBM que pour ses produits. En effet, en 2003, l’entreprise revendiquait avoir les droits d’AT&T UNIX et trainait Big Blue devant les tribunaux pour avoir copié Unix en proposant IBM Linux.
Pour rappel, UNIX a été développé par Bell Labs (une branche de AT&T) dans les années 70.
De son côté, SCO a été créée en 1979 et s’est spécialisée dans le portage d’UNIX sur différentes infrastructures matérielles. L’entreprise va acquerir en 1987 les droits de Microsoft Xenix (le portage de UNIX System V sous licence AT&T par Microsoft en 1980), alors que l’éditeur américain décidait de se focaliser sur OS/2 puis sur Windows NT. Cette acquisition donnera naissance à SCO OpenServer. De même, SCO va acquérir certains droits de Novell Unixware pour créer SCO Unixware.
En 1998, SCO s’unit à Intel, Sequent et IBM pour le projet Monterey visant à rendre Unix plus compétitif et surtout plus unifié avec une implémentation universelle permettant aisément de porter les Workloads d’une architecture informatique à l’autre. Une grande partie des argumentations de SCO – et aujourd’hui de Xinuos – autour d’Unix et contre IBM trouvent leur origine dans ce projet avorté qui a conduit à la création d’AIX sur processeurs Power (et sur Mainframes).
En 2003, l’attaque de SCO contre IBM et Linux était en partie soutenue par Microsoft : on est alors en pleine époque Steve Ballmer et son « Linux is a cancer ».
Mais SCO va perdre à peu près toutes les batailles juridiques, IBM trouvant notamment en Novell un allié inattendu : ce dernier explique en effet qu’il n’a vendu à SCO que des droits marketing et nullement les propriétés intellectuelles autour de AT&T Linux. La bataille devient alors davantage une affaire « SCO vs Novell » qu’une affaire « SCO vs IBM ».
En 2007, tout le monde pense l’histoire définitivement close lorsqu’un tribunal fédéral confirme que Novell est bien détenteur des droits d’UnixWare et que SCO n’a jamais disposé des copyrights d’Unix.
Rebond, en 2009, lors d’un appel qui inverse en partie la décision et permet ainsi à SCO de contre-attaquer de plus belle. Et de perdre à nouveau (contre Novell) en 2010 et 2011.
En 2011, une société dénommée UnXis rachète les actifs Unix de SCO. Renommé Xinuos en 2018, l’entreprise va voir fondre comme une peau de chagrin les parts de marché d’UNIX au profit de Linux. Au point que l’entreprise n’a plus beaucoup de clients et que personne ne se soucis vraiment d’OpenServer 10… De quoi relancer les velléités de batailler autour des droits, brevets et copyrights.
La semaine dernière, Xinuos a déposé une nouvelle plainte contre IBM étendant désormais ses reproches non seulement autour d’IBM Linux mais aussi de Red Hat Linux (IBM ayant racheté Red Hat) et même d’AIX.
Dans son dépôt de plainte, Xinuos propose une relecture très personnelle de l’histoire informatique récente : « D’abord, IBM a volé la propriété intellectuelle de Xinuos et a utilisé cette propriété volée pour construire et vendre un produit en concurrence avec Xinuos lui-même. Deuxièmement, IBM et Red Hat ont illégalement accepté de se diviser le marché en s’appuyant sur les propriétés intellectuelles volées et d’utiliser leur puissance croissante sur le marché pour « victimiser » les consommateurs, les concurrents innovants et l’innovation elle-même. Troisièmement, après que IBM et Red Hat aient lancé leur conspiration, IBM a ensuite acquis Red Hat pour consolider et pérenniser leur projet… Xinuos affirme que la conspiration d’IBM et de Red Hat a nui à la communauté open source et plus particulièrement au produit OpenServer 10 de Xinuos, basé sur Free-BSD » …
Étrange interprétation de l’évolution des marchés Unix et Linux qui prêteraient à sourire si l’affaire n’était pas sérieuse. D’autant que, même si elle ne concerne pour l’instant qu’IBM et Red Hat, elle pourrait avoir des répercussions plus larges sur l’univers Linux en cas de victoire de Xinuos.
Pour les avocats d’IBM, « les allégations de Xinuos sur les droits d’auteur ne font que ressasser les affirmations précédemment déboutées. Leurs droits d’auteur ont été acquis par la faillite et n’ont aucun mérite. Les allégations antitrust de Xinuos, proférées contre IBM et Red Hat, la plus grande entreprise open source du monde, défient de la même façon la logique. IBM et Red Hat défendront agressivement l’intégrité du processus de développement open source et le choix inhérent, et donc la concurrence, que l’open source favorise ».
Bref, cette vieille saga oubliée est relancée… Comme pour un mauvais remake, on s’en serait bien passé…