Tout comme MongoDB, Elastic s’énerve de voir les grands du Web ne pas jouer le jeu des licences de support et se faire de l’argent sur leur dos en exploitant les versions communautaires. L’éditeur change donc ses licences et entre en guerre contre AWS qui riposte avec ses propres Forks !
L’éditeur Elastic – à qui l’on doit notamment le moteur de recherche et database ElasticSearch et l’outil de visualisation de données Kibana – a annoncé la semaine dernière adopter la même licence SSPL (Server Side Public License) que MongoDB. Dans les faits, ses produits autrefois couverts par la licence Apache 2.0 sont désormais distribués selon deux licences différentes : une licence « Elastic » qui couvre les usages non commerciaux et exclut toute utilisation « as a Service » et une licence « SSPL » pour les usages commerciaux et sous forme de services.
Dans les deux cas, les licences restent « pseudo » open source, mais la licence SSPL impose aux fournisseurs de clouds, s’ils veulent exploiter le logiciel, de publier également en open source tout le « Service Source Code » qui l’accompagne autrement dit tout ce qui est scripts d’automatisations, interfaces de pilotage, scripts de sauvegarde, scripts d’hébergement, etc. Autrement dit, les fournisseurs de clouds sont contraints de publier toute leur « sauce secrète » au cœur de leur infrastructure.
La réaction quelque peu épidermique d’Elastic est, comme avec MongoDB (mais aussi Confluent, Neo4J, Redis Labs et d’autres), le fruit d’un « ras-le-bol » : celui de voir les hyperscalers faire fortune avec ses technologies sans bénéficier de cette manne en retour.
En procédant ainsi toutefois, Elastic fait grincer les dents des puristes de l’Open Source et de tous les soutiens Apache. Pour Elastic, cette décision a pourtant bien pour objectif de « protéger les investissements dans l’open source ». Rappelons qu’Elastic a déjà porté plainte en 2019 contre AWS l’accusant de repackager son offre illégalement et de violer ses marques déposées. L’affaire est toujours en cours. « Récemment, nous avons trouvé d’autres exemples de ce que nous considérons comme un comportement contestable sur le plan éthique. Nous nous sommes différenciés avec des fonctionnalités propriétaires et voyons maintenant ces conceptions de fonctionnalités servir ‘d’inspiration’ à Amazon. Ce n’est pas acceptable » explique Shay Banon, fondateur et CEO d’Elastic.
Selon Elastic, la très vaste majorité des utilisateurs n’est pas impactée par ce changement de licences. Seuls les fournisseurs clouds sont réellement visés. Pour calmer la communauté open source, Elastic envisage également d’adopter les mêmes principes que MariaDB et sa « Business Source Licence » (BSL) pour permettre l’utilisation commerciale (de l’édition limitée actuellement couverte par sa licence Elastic) tout en bloquant les usages « as a service » et donc les fournisseurs Cloud. Shay Banon tente d’ailleurs de rassurer les communautés : « Nous prévoyons que quelques-uns de nos concurrents tenteront de diffuser toutes sortes de fausses informations autour de ce changement. Permettez-moi d’être clair face à nos opposants. Nous croyons profondément aux principes de produits gratuits et ouverts et de transparence envers la communauté. Notre histoire témoigne de cet engagement, et nous continuerons de nous en inspirer ».
Le problème pour Elastic, c’est qu’AWS est un grand fournisseur de ses technologies mais aussi un grand utilisateur. Et le géant du cloud ne pouvait rester sans réponse. AWS vient tout simplement de « forker » les dernières versions Apache 2.0 d’ElasticSearch et Kibana pour les proposer en open source sous licence Apache 2.0. « Afin de garantir que les versions open source d’Elastic Search et Kibana demeurent disponibles et supportées, y compris dans nos propres offres, nous annonçons aujourd’hui qu’AWS intensifiera la création et la maintenance d’un fork sous licence ALv2 des deux logiciels en open source » expliquent les responsables d’AWS dans un billet de blog.
Et bien évidemment, AWS exploitera désormais ce fork à ses propres fins tout en veillant à l’ajout de nouvelles fonctionnalités et en garantissant la rétrocompatibilité.
L’hyperscaler espère entraîner avec lui une bonne partie des puristes de l’Open Source et anciens clients d’Elastic. « Choisir de bifurquer (forker) un projet n’est pas une décision à prendre à la légère, mais cela peut être la bonne voie à suivre lorsque les besoins d’une communauté divergent – comme c’est le cas ici… Nous sommes impatients de fournir une option véritablement open source pour ElasticSearch et Kibana en utilisant la licence ALv2, et de construire et de soutenir cet avenir avec la communauté ».
Bien évidemment, cette lutte fratricide soulève bien des débats au sein des communautés de l’open source. Certains considèrent en effet que les hyperscalers, quelque part, profitent de l’open source sans réellement réinvestir dans les communautés et s’enrichissent au détriment des éditeurs qui ont créé les technologies utilisées. D’autres considèrent que basculer l’approche choisie par Elastic est « fishy » (louche) et que les licences comme SPPL sèment le trouble dans la communauté et font de l’ombre aux vraies licences de l’écosystème FOSS (Free Open Source Software).
Un débat qui n’est pas près de s’éteindre et met en lumière les rapports troubles et complexes entre les pratiques cloud et celles open source.