InformatiqueNews : Que représente la Business Software Alliance dans l’industrie du logiciel  et quel est son principal objectif ?
21 Rey 1François Rey :
Les 100 premiers éditeurs mondiaux sont membres de notre association ce qui permet d’affirmer que nous devons représenter plus de 90 % de notre industrie. Mais sur chaque marché, le BSA essaie d’intégrer aussi les éditeurs locaux de taille plus modeste. L’objectif principal partagé par tous nos membres est de protéger la propriété intellectuelle. Au-delà de nos propres adhérents, nous développons des partenariats avec de nombreuses autres associations parmi lesquelles on peut citer l’Unifab (Union des fabricants), Syntec numérique, l’Afdel, l’Afnor, le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables (CSOEC), la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC)…

InformatiqueNews : Revenons sur le terme conformité que vous employez pour définir le cadre dans lequel les entreprises devraient utiliser un logiciel. Il implique en creux son contraire, la non-conformité, qui recouvre principalement deux cas de figure : la négligence et la fraude. Avez-vous une idée de leur importance respective ?
F.R. :
Oui, on peut présenter la situation ainsi. Sachant que la fraude caractérisée peut déboucher sur la contrefaçon et s’associer avec le blanchiment d’argent et les trafics en tous genres. Mais on est là dans une problématique assez différente qui concerne plutôt la police et les services de renseignements. Il est assez difficile de quantifier les différents phénomènes. Pour donner des ordres de grandeur, plus de 80 % des logiciels utilisés par les particuliers sont non conformes. Les TPE ont un taux de piratage plus élevé que les grandes entreprises par négligence et parce qu’elles n’ont pas toujours les moyens de gérer au plus près leur parc logiciel.

InformatiqueNews : Comment évolue la conformité et où se situe la France ?
F.R. :
La situation évolue plutôt favorablement avec un taux de logiciels non conformes en France de 36 % en 2014 contre 42 % en 2007. Mais nous nous situons toujours plus 10 points au-dessus de nos voisins anglais et allemands et au-dessus de la moyenne européenne. Je dirai donc « résultats moyens, peut mieux faire ». La France est d’ailleurs dans une situation paradoxale : un cadre législatif plus fort que celui de ses voisins, mais des pratiques et une sensibilisation à la propriété intellectuelle moins élevées.

C’est pour cela que je suis artisan défenseur des partenariats car que je reste persuadé que pour être efficace, toute action doit être coordonnées par le maximum des parties-prenantes : pouvoirs publics, médias, cadre législatif, éditeurs, associations professionnelles… C’est vraiment un effort collectif dans une problématique que l’on doit axer sur la compétitivité des entreprises.

InformatiqueNews : la situation n’était pas vraiment simple avec des contrats différents selon les éditeurs, pensez-vous que le cloud ou la consommation des logiciels en mode SaaS va réduire la complexité ?
F.R. :
Ça simplifie un peu les choses, résout certains problèmes mais en crée d’autres. En impliquant de nouveaux acteurs, les hébergeurs par exemple. Et si la conformité des logiciels en mode SaaS est apparemment plus facile à gérer, c’est un mode qui s’ajoute à ceux déjà existants. C’est pour cela que nous avons publié un livre blanc intitulé Navigating the Cloud — Why Software Asset Management is More Important than Ever qui adresse quelques recommandations pratiques aux DSI afin de les guider dans l’adaptation de leur stratégie de gestion des actifs logiciels (Software Asset Management ou SAM) dans le Cloud.

Car sans une stratégie de gestion des actifs logiciels adaptée, le cloud ne peut tenir toutes ses promesses. Nous avons également travaillé avec l’Afnor depuis deux ans pour élaborer un Guide d’Application de la norme ISO/IEC 19770-1:2012 relative au SAM. Ce guide vise à faciliter la compréhension et la mise en œuvre d’une bonne gestion des actifs logiciels. Passer au cloud devrait permettre d’évoluer d’une gestion des actifs logiciels statiques à une gestion dynamique permettant à tout moment de connaître l’état du parc. Sachant que le BYOD ajoute à la complexité avec en particulier l’installation d’applications qui ne sont pas reconnues par l’entreprise ou si elles sont connues, non validées. Ce qui créé des ouvertures pour des failles de sécurité et met l’entreprise en danger.

InformatiqueNews : Certaines entreprises ne « fraudent-elles » pas parce qu’elles ont le sentiment que les éditeurs de logiciels « les volent un peu » ? N’adoptent-elles pas l’attitude du passager clandestin, basé sur le sentiment que les éditeurs de logiciels ont des taux de profitabilité très élevés et qu’en plus le coût marginal de fabrication d’un logiciel est proche de zéro ? Au final, ils pensent que ce n’est pas trop grave.
F.R. :
Cette perception existe et persiste. Elle est logique même si elle condamnable. Il faut faire le distinguo entre les grands éditeurs et les plus petits. Pour ces derniers, la fraude peut avoir des conséquences très fortes. Du côté des entreprises utilisatrices, l’utilisation de logiciels non conformes n’apporte qu’un gain à court terme. Nous avons réalisé une étude avec l’Insead[1] qui démontrer l’intérêt économique de l’utilisation de logiciels sous licence. Cette étude confirme que les logiciels sous licence sont avantageux pour les entreprises, mais aussi pour la croissance économique. Elle précise par exemple que précise également que chaque euro dépensé dans un logiciel sous licence génère 60 euros de retour sur investissement, contre 23 euros pour un logiciel piraté. .

InformatiqueNews : les gens croient vraiment à ce type d’étude ? Certaines entreprises ne font-elles pas le calcul économique simple du fraudeur dans le métro.
F.R. :
Pour y croire, il y faut au préalable une nécessaire sensibilisation, notamment au risque. Les logiciels non conformes attirent plus de malwares que les autres. Après, il y a la condamnation des infractions, c’est-à-dire tout l’arsenal juridique disponible. Ensuite, il y a l’idée que l’argent que l’on verse sert à développer de nouveaux produits. Les éditeurs ont fait des progrès pour proposer différentes versions correspondant aux besoins des entreprises qui ont alors le sentiment d’en avoir pour leur argent. L’utilisation de logiciels conformes permet aussi une gestion efficace du parc, une source de gain et d’efficacité. Les conséquences en termes d’image peuvent être assez importantes.

InformatiqueNews : Pouvez-vous donner quelques informations sur les actions légales réalisées ?
F.R. :
La BSA engage principalement des actions auprès des petites et moyennes entreprises sachant que les éditeurs se consacrent, eux, plutôt aux grands comptes. L’année dernière, nous avons lancé une centaine d’actions pour un montant en dommages et intérêts de 1,3 M€. C’est assez modeste car je préfère consacrer nos moyens sur des actions positives de sensibilisation au risque et d’explication des bénéfices liés aux bénéfices de l’utilisation de logiciels conformes. La BSA a par exemple lancé une campagne d’information et de sensibilisation auprès de 18 000 TPE et PME du Nord de la France.

Toujours en matière de statistiques, notre enquête montre que l’Est et le Nord de la France ont des taux d’utilisation de logiciels non conformes plus élevés que la moyenne nationale (respectivement 42 et 39 %). Cette gestion sera d’ailleurs très utile pour une valorisation juste des actifs en cas de fusion ou de cession d’entreprises. Concernant les actions auprès des grandes entreprises, je ne connais pas le montant des dommages et intérêts qui ont été payés mais une étude de la BSA a évalué le manque à gagner à plus de 2 milliards d’euros pour la France seulement. D’où l’idée que l’utilisation de logiciels conformes est un facteur de compétitivité.

Il existe un dernier facteur qui milite dans le sens de la conformité mais qui n’est pas encore arrivé en France, c’est celui de l’Unfair Competition Act qui permet à une entreprise d’attaquer en justice une autre entreprise en justifiant que l’utilisation de l’utilisation de logiciels non conformes crée les conditions d’une concurrence déloyale.

 

Les recommandations de la BSA pour mettre en place une stratégie de gestion des actifs logiciels adaptée au cloud :
– Loin de soustraire les entreprises à leurs obligations de licence, le cloud en a créé de nouvelles. D’où la nécessité d’une stratégie de gestion des actifs logiciels adaptée.
– La gestion des actifs logiciels est aussi indispensable pour les entreprises qui ont migré vers le cloud que pour celles qui exécutent un environnement IT classique.
– Il ne s’agit pas de redéfinir les objectifs de la gestion des actifs logiciels, mais d’en adapter les méthodes aux environnements cloud.
– La gestion des logiciels doit faire partie intégrante de la stratégie Cloud et de son plan d’implémentation des entreprises.
– Toute entreprise qui migre vers le Cloud doit étudier de près ses contrats de licence de logiciels traditionnels pour limiter ses risques de non-conformité.
– Les offres SaaS (Software-as-a-Service) exigent des mesures renforcées de contrôle des accès et d’optimisation de l’exploitation des ressources.

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[1] Competitive Advantage: The Economic Impact of Properly Licensed Software