Après les prodiges au jeu Jeopardy, la mise en œuvre de moyens et de ressource pour transformer Watson en produits et services, IBM annonce quelques réussites commerciales.

« Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche », aurait déclaré sous forme de boutade aux accents coluchiens le général de Gaulle s’impatientant du peu de résultats de la recherche française pour donner à la France sa bombe atomique. Quelle que soit leur motivation, la productivité des chercheurs, quelle que soit leur discipline, dépend entre autres des moyens qui sont à leur disposition pour effectuer leurs travaux. Avec Watson proposé désormais sous forme de services cloud – Watson Discovery Advisor -, IBM entend démultiplier son son offre et la valoriser financièrement. Car le principal problème d’IBM avec Watson est bien là. Les réalisations de cette solution qui concrétise les espoirs placés dans les travaux sur l’intelligence artificielle des années 80 avec en plus les capacités de traitement du langage naturel vont-ils se transformer en une activité commerciale lucrative. IBM a repris la stratégie adoptée pour Deep Blue avec dans un premier temps la démonstration de la puissance du système sur un objectif connu très médiatique – battre le champion du monde aux échecs pour Deep Blue et les vaincre les champions du jeu Jeopardy pour Watson – puis nouer des partenariats avec des laboratoires de recherche pour ensuite déboucher sur des contrats avec des entreprises privées.

 

IBM est au milieu de la seconde étape, il a déjà des résultats dans la recherche universitaire – principalement américaine – et commence à faire état de réalisations dans la recherche privée. Dans la recherche universitaire, on peut citer le Memorial Sloan-Kettering Cancer Center, The University of Texas MD Anderson Cander Center, Le Cleveland Clineic Lerner College of Medecine et plus récemment le Baylor College of Medecine. Il s’agit ici d’aider la recherche en exploitant avec des moyens inconnus jusqu’ici les données existantes (résultats d’expérimentation, publications scientifiques…).

Dans cette dernière institution, Watson a été utilisé pour développer une sorte de langage pouvant aider à trouver de nouveaux traitements (Baylor Knowledge Integration Toolkit ou KnIT). A Baylor, les biologistes et les spécialistes du traitement des données (data scientists) ont identifié des protéines qui modifient la protéine p53[1] liée à de nombreux cancers. Grâce à ses capacités cognitives et à sa compréhension du langage naturelle, Watson a pu analyser 70 000 articles scientifiques permettant d’identifier six nouvelles protéines. Un résultat plutôt probant puisque sur les 30 dernières, les scientifiques ont trouvé en moyenne une nouvelle protéine par an.

« En moyenne, un chercheur peut lire jusqu’à 5 articles par jour, explique Olivier Lichtargen professeur de biologie moléculaire du Baylor College of Medecine/ Cela doit être mis en perspective avec les 70 000 articles publiés sur la protéine p53. Au rythme article par jour, il aurait donc fallu 38 ans à un chercheur pour faire le tour des publications sur le sujet ».

Au-delà de la recherche universitaire, IBM affiche aujourd’hui quelques réalisations dans la recherche privée, pour l’instant principalement dans le domaine médicale. Chez Johnson & Johnson, Watson a été utilisé pour lire et analyser des articles scientifiques qui présentent les résultats d’essais cliniques et évaluer les traitements médicamenteux. Typiquement, une analyse comparative réalisée « manuellement » nécessite en moyenne trois chercheurs pendant dix mois (Environ 2,5 mois/homme) uniquement pour collecter les données avant de les utiliser pour l’analyse et la validation d’hypothèses.

Sanofi a utilisé Watson pour accélérer la découverte de nouveaux traitements sur des molécules existantes (drug re-purposing). Watson est capable de comprendre des milliers d’articles et d’en extraire des informations utiles permettant de visualiser des relations entre ces molécules et d’autres affections que celles pour lesquelles elles ont été développées.

La recherche privée des 1000 premières entreprises mondiales représente un budget cumulé annuel de 600 milliards de dollars. Mais les progrès peuvent être lents et les résultats prendre du temps. Dans le cas de l’industrie pharmaceutique, la moyenne est entre 10 et 15 ans pour mettre au point une nouvelle molécule. L’utilisation de Watson permet potentiellement d’accélérer les travaux de recherche en découvrant des relations jusqu’ici inconnues ou des tendances cachées grâce à une puissante analyse des données.

« Nous entrons dans une nouvelle ère de la recherche basée sur l’analyse des données », considère Mike Rhodin, Senior Vice President d’IBM et responsable du Group Watson. Sans doute, mais le défi pour IBM est bien de transformer cette merveille technologique en une activité commerciale rentable. D’autant que dans le cas de Watson, la détermination du prix n’est pas chose facile.

 

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[1]p53 est un facteur de transcription régulant certaines fonctions cellulaires importantes comme la mitose ou la mort programmée. Le gène codant pour la protéine p53 est inactivé dans la moitié des cancers chez l’Homme. (Source Wikipedia)