Les partenariats publics privés sont toujours risqués et mènent rarement aux résultats espérés. Mais le second renouvellement du contrat entre l’Inria et Microsoft prouve que cela peut marcher.
Lors du premier contrat entre l’Inria, la référence française en matière d’informatique universitaire et Microsoft, la présence de plusieurs ministres et d’une centaine d’invités dans les locaux universitaires d’Orsay avait marqué les esprits. Le souvenir des fastes de 2006 contrastait avec l’intimité de la réunion du deuxième renouvellement, organisé à Paris en petit comité d’une vingtaine de participants. Cette réunion dans les locaux de l’accélérateur de start-ups crée par Microsoft, marquait huit ans de coopération et une étape dans l’histoire de Microsoft France.
Michel Cosnard, le président directeur général de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatisme, notre photo ci-contre) soulevait l’importance des projets passés très influencés par les mathématiques, la nature des relations avec l’éditeur américain et surtout l’importance de la recherche fondamentale. Cette évocation soulignait aussi ses huit années passées à la direction de l’Inria, le président devant prendre sa retraite prochainement. Sa politique d’ouverture vers le privé (Alcatel, Sanofi) ne sera pas forcement suivie par ses successeurs, la politique pesant lourd dans les choix des directeurs des organismes publics.
Un contexte politique parfois difficile à gérer
La recherche en Informatique en France, faut-il le rappeler, reste toujours coupée en deux avec d’un coté l’Institut (Inria) issu du plan Calcul des années 60 et de l’autre, le CNRS. L ’intégration des résultats de la recherche au marché reste toujours une négociation difficile. Jean-Philippe Courtois, président de Microsoft International (photo ci dessous) de son coté,ne manquait pas de rappeler les deux évènements phares qui ont marqué ces huit dernières années pour le laboratoire : l’attribution du prix Turing 2013, « Notre prix Nobel informatique » à Leslie Lamport, membre du laboratoire depuis ses débuts et de préciser, en second lieu, que l’équipe dirigée par Georges Gonthier (Microsoft) en septembre 2012, « a achevé la démonstration informatique du théorème de Feit-Thompson, l’un des théorèmes phare de l’algèbre du XXe siècle« .
Un travail de fond qui inspire les chercheurs
D’un point de vue comptable le laboratoire Microsoft Research-Inria bénéficie aussi d’un grand partenariat avec le laboratoire de Cambridge. Il a publié plus de 500 documents scientifiques et mis sur le marché en open source 12 logiciels. Il revendique la formation de 68 jeunes chercheurs dont de nombreux étrangers et a participé à la soutenance de 23 thèses depuis 2007. Actuellement le laboratoire commun Inria-Microsoft fédère quelque 100 chercheurs autour de 11 projets .
( photo à droite Leslie Lamport, prix turing 2013 membre du laboratoire Microsoft Inria)
D’un point de vue des rapports avec l’université, l’effet a été très bénéfique pour Microsoft qui n’est plus du fait de ses rapports avec l’Inria considéré comme le pire « diable capitaliste ». Sa production en open source qui n’a fait que s’accentuer a aussi largement contribué à un changement d’attitude du corps des enseignants universitaires, tout comme les prêts de logiciels et les programmes de concours internationaux initiés par les français. La bataille « Windows vs Linux » et la défense du logiciel libre ne soulèvent plus autant de révoltes que dans les années 90 et 2000. Le programme local de détection et de support des start-up connu sous l’appellation BizSpark ou encore le partenariat avec Cap Digital ont finit par prouver que Microsoft n’était pas tout à fait le vampire que certains universitaires décrivaient. Durant la cérémonie nous avons pu par exemple discuter avec les créateurs de Reminiz, une petite start-up qui cible la reconnaissance faciale sur mobile et qui avait pu bénéficier des conseils experts du laboratoire de l’Inria, celui-ci ayant beaucoup travaillé sur ce domaine. Leurs projets de logiciels de reconnaissance faciale aurait eu du mal à décoller sans le coup de pouce de BizSpark.
La recherche fondamentale est à la source d’applications multiples
« Ce modèle de partenariat fonctionne et répond aux besoins d’une société en mutation vers le numérique», a conclu le président de l’Inria, Michel Cosnard. Désormais le labo se focalise sur les méthodes formelles appliquées à la fiabilité des logiciels. Une faille critique dans le protocole TLS, inclus dans les échanges SSL censés sécuriser des échanges sur Internet a d’ailleurs été découverte à Orsay. De nombreux projets de partenariat en médecine existent et se développent avec des start-up dans le domaine de l’imagerie médicale. Ils permettent de progresser dans les analyses dans 4 dimensions (les trois axes et la dimension du temps). La recherche sur le cerveau et la chirurgie cardiaque progressent avec l’aide des résultats à partir de données issues de logiciels de type Big data. Dans ce domaine un projet de Cloud appellé AzureBrain fournit l’infrastructure nécessaire sur Azure pour répondre aux besoins de la neuro-imagerie.
Encadré : résoudre le théorème des quatre couleurs. ( image d’ouverture de l’article). Pour apprécier l’importance du travail du laboratoire de l’Inria, Georges Gonthier( photo)
expliquait qu’il poursuivait les démonstrations de Turing, l’un des pères de l’informatique. Le théorème des quatre couleurs est aussi celui de l’analyse combinatoire, un cauchemar à décortiquer et à appréhender pour un étudiant moyen. La formule d’Euler, assez connue, parfois utilisée en construction et qui permet de résumer un graphe complexe à des sommets et des arêtes est, par exemple, considérée comme l’une des méthodes qui ont seulement permis de débroussailler le sujet .
L’histoire remonte à 1852, Francis Guthrie, cartographe anglais, avait remarqué qu’il lui suffisait de quatre couleurs pour colorer la carte pourtant complexe des cantons d’Angleterre, sans donner la même couleur à deux cantons adjacents et ayant une frontière commune. Fasciné par cette situation, il demande à son frère mathématicien d’établir s’il s’agit d’une loi ou d’un pur hasard. Celui-ci tente de démontrer que cette situation cache une loi. Pendant cent ans, des dizaines de mathématiciens ont cherché des modes, des preuves, des solutions à ce problème mais sans réussir à être totalement limpides dans leurs démonstrations et leurs explications. Parmi les chercheurs, le père de l’algèbre moderne, G. D. Birkhoff, en 1913, s’était déjà consacré sans grand succés à ce casse tête. Bref en 1995, grace à des ordinateurs de haut vol, les informaticiens Robertson, Sanders, Seymour et Thomas avait déjà réduit le problème à 633 configurations ce qui était déjà un exploit. Et donc en 2012 l’équipe commune à Microsoft et à l’Inria a réussit à réaliser une démonstration imparable. D’autres projets sont en cours de réalisation.