Google a acquis une position de monopole sur Internet qui lui donne un avantage significatif sur ses autres activités. D’où l’initiative du Parlement européen de motion pour relancer les négociations avec le géant du Net.
Standard Oil, IBM, AT&T, Microsoft, et maintenant Google… la liste des monopoles auxquels se sont attaqués les autorités américaines ou européennes s’allonge. Google sera-t-il la prochaine société à être épinglée ?
La Standard Oil éclatée
Petit retour en arrière sur les différents épisodes engagés au fil des temps contre géants économiques. En 1870, la Standard Oil, qui deviendra quelques années plus tard la plus grande compagnie pétrolière du monde, établit son siège à Cleveland. Elle y restera 15 ans avant de s’installer à New York. Sous l’impulsion de John et William Rockefeller et grâce à des pratiques commerciales pas toujours très nettes, l’ascension de la Standard Oil est rapide. En 1890, le sénateur de l’Ohio John Sherman (frère du général William T. Sherman) fait passer la loi antitrust qui porte son nom. La même année, le ministre de la Justice de l’État de l’Ohio, un républicain, engage une action judiciaire qui entraîne la dissolution de l’entreprise. Celle-ci renaîtra en 1899 sous la forme d’une holding avec la nouvelle appellation de Standard Oil Company of New Jersey. Mais en 1911, à la suite d’un procès mémorable dans lequel le ministère de la Justice s’appuie à nouveau sur le Sherman Antitrust Act, l’entreprise est cassée et réorganisée en 33 sociétés – les « baby standards ». Plusieurs grandes compagnies pétrolières d’aujourd’hui sont issues de cette dérégulation. Standard Oil of California est devenu Chevron ; SO of New Jersey et SO of New York sont respectivement devenues Exxon et Mobil, aujourd’hui ExxonMobil ; Continental Oil Company est devenu Conoco. Quant à la Standard Oil Of Ohio, elle a été rachetée par BP en 1987.
Blanche Neige et les 7 nains
En 1969, IBM archi domine le marché des ordinateurs – on parle d’IBM et des 7 nains – le ministère de la Justice engage une action toujours en se basant sur la loi antitrust au motif de position de monopole. Ce procès durera 13 ans et pèsera comme une menace sur Big Blue. Face à cette éventualité, Franck Cary, le Pdg de l’époque réorganise l’entreprise en deux grandes entités : DO (Division Ordinateurs) qui regroupe les mainframes et DSGD (Division des Systèmes de Grande Diffusion) qui développe les minis (IBM 3, 32/34/36/38 devenu AS/400 puisque Power Systems fonctionnant avec le système d’exploitation i). Nommé CEO en 1973, Franck Cary séparera la vente des matériels et des logiciels. Etonnant lorsque l’on sait que quelques décennies plus tard le matériel représentera moins de 15 % du chiffre d’affaires, beaucoup moins que le logiciel. Parallèlement, les services sont séparés en deux : general information, gratuit et fourni à discrétion par IBM, et on-the-job assistance and training of customer personnel, payant et ouvrant la voie vers l’activité de services prédominante aujourd’hui. En 1982, cette action en justice se terminera par le statu quo et IBM pourra continuer sa route comme une seule et même entreprise.
Ma Bell que je n’aime plus
C’est à partir des années 50 que les autorités américaines se pencheront sur le marché des télécoms. La première entaille au monopole d’AT&T sera la décision d’une Cour fédérale visant à l’autorisation d’un dispositif pouvant être associé à un téléphone fourni par AT&T. Le mouvement visant à la dérèglementation est allé très doucement avec comme objectif la réduction du coût des infrastructures pour être relancé en 1982 lorsque le Ministère de la Justice intente un procès antitrust début 1974 qui obligera AT&T (Ma Bell) à accepter le partage des télécommunications locales avec d’autres opérateurs. Cette action s’inscrit dans la grande période de dérèglementation de la période Reagan qui touchera d’autres secteurs notamment le transport aérien. AT&T est donc éclaté en 7 opérateurs régionaux baptisés Regional Bell Operating Companies, connus sous le nom de Baby Bells en référence aux Baby Standards. Autre conséquence de cette dérégulation, les Américains peuvent acheter librement leurs combinés téléphoniques, une perte de revenus pour Western Electric, une des filiales d’AT&T.
La suite est connue et verra la recomposition du paysage des télécoms aux Etats-Unis vers un nombre très limité d’acteurs : AT&T qui est en fait le résultat de l’acquisition d’AT&T Corp par SBC qui décide de garder le nom de la société historique, Verizon, Sprint et T-Mobile, la filiale allemande de Deutsche Telekom.
Microsoft écrase Netscape
A partir du début des années 90, la FTC (Federal Trade Commission) commence à s’intéresser au marché des PC. C’est le 18 mai 1998 précisément que Microsoft sera sur le grill et fera l’objet à son tour d’une action sur la base du Sherman Antitrust Act avec comme élément central le lien très étroit existant entre le système d’exploitation et le navigateur Internet Explorer. On se souvient avec quelle rapidité et force Microsoft a réagi au développement extrêmement rapide de Netscape Navigator, Microsoft réagira simplement en proposant Internet Explorer gratuit, puis en l’intégrant à Windows 95, une initiative qui mettra assez rapidement un terme à l’épopée de Netscape. En cause également, la gestion des API pour favoriser IE ainsi que les accords de licence OEM avec les fournisseurs de matériels qui conduisent à ce que les défenseurs du logiciel libre appellent la « vente forcée de Windows ».
En 2000, une décision du juge Thomas Penfield Jackson préconisa la séparation de Microsoft en deux entités, l’une pour les systèmes d’exploitation et l’autre pour les applications. Suite à cette décision, les plaignants ont tenté de porter ce cas devant la Cour Suprême qui déclina de le prendre en considération et saisi la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit du District de Columbia qui annula la décision et renvoya l’affaire sur une autre Cour. En novembre 2001, le ministère de la Justice indiqua qu’elle ne demandait plus la scission de Microsoft en deux entités et imposait à Microsoft d’être plus transparente dans la publication de ses API. Outre-Atlantique, une action similaire a été engagée. En 2004, la Commission européenne avait demandé à Microsoft de fournir à ses concurrents des informations techniques détaillées, leur permettant de concevoir des logiciels compatibles avec Windows. Huit ans plus tard, Cela se soldera par une amende de 860 M€ infligée par le Tribunal de l’Union européenne (Le Tribunal confirme, pour l’essentiel, la décision de la Commission).
Au tour de Google ?
On le voit, les actions en justice pour des pratiques monopolistiques ou d’abus de position de dominante sont très longues et incertaines. Le cas de Google est à la fois plus simple et beaucoup plus complexe dans la mesure où l’activité de la firme de Moutain View est exclusivement sur Internet. C’est dans ce contexte que les députés européens devraient se prononcer sur une motion visant à la scission non seulement de Google mais aussi d’autres géants du Net. Concernant Google, l’idée serait de séparer moteur de recherche des autres services commerciaux présents dans de très nombreux secteurs économiques. Dans la présentation récente de son plan numérique, Accor indiquait bien qu’elle considérait Google comme l’un de ses grands concurrents (Accor fait sa révolution numérique). Toutefois, même adoptée, cette motion n’a aucun caractère contraignant et n’est qu’un moyen de pression sur la Commission empêtrée dans une enquête sur des allégations d’infraction aux règles antitrust par Google et ayant pour objectif de relancer les négociations entre Bruxelles et le groupe américain.
La défense de Google s’appuie sur l’idée relativement simple qu’il est confronté à une intense et permanente concurrence sur Internet. Dans un discours prononcé le moins dernier à Berlin, Eric Schmidt, président exécutif de Google a redit ce qui est désormais une antienne : « personne n’est forcé de recourir à Google, la concurrence est à un clic ».