Changement de cap dans la roadmap quantique d’IBM. Mise à jour cette semaine, elle marque la fin de la course aux qubits pour privilégier des approches modulaires et une quête de fiabilité et de scalabilité.

Cette semaine IBM a mis à jour sa « roadmap quantique » initiée en 2018 et depuis régulièrement ajustée. Contrairement à la plupart des acteurs du monde quantique, IBM a démontré une étonnante faculté à tenir les multiples objectifs de sa roadmap.

La mise à jour annoncée cette semaine marque cependant un vrai changement de cap. Terminée la course au nombre de qubits ! La nouvelle roadmap se focalise sur la fiabilité des qubits (des temps de cohérence plus longs, une meilleure suppression des erreurs, etc.) et engage une nouvelle course, celle au nombre de portes.

Pour rappel une porte quantique est un opérateur qui fait évoluer un système quantique d’un état à un autre. Multiplier à l’infini les qubits n’a pas de sens tant que l’on ne peut réaliser d’opérations complexes dessus en enchaînant les portes quantiques comme un programme classique enchaîne les lignes de programmation.

Condor dépasse les 1000 qubits

Pour IBM, le nouveau processeur Condor dévoilé cette semaine avec ses 1121 qubits utilisables marque un palier. Preuve en est le manque de détail, voire même d’enthousiasme d’IBM, autour de ce nouveau QPU. Il est vrai que le marketing de Big Blue s’est fait griller la politesse par Atom Computing qui a été le premier, il y a un mois, à annoncer un processeur à plus de 1000 qubits.

Le problème, c’est que ces processeurs – Condor compris – sont encore très instables et ne seront fiabilisés que dans quelques mois voire années. IBM travaille par exemple toujours à fiabiliser son Falcon (27 qubits) sorti en 2019 ou son Eagle (127 qubits) sorti en 2021 avec, au final, des performances réelles bien supérieures au processeur Osprey (433 qubits) sorti en 2022.

Heron ou la quête aux portes quantiques

En revanche, IBM se montre beaucoup plus prolixe sur son second processeur quantique dévoilé cette semaine. Le processeur n’affiche « que » 133 qubits mais incorpore des technologies de suppression d’erreurs (élaborées ces 4 dernières années en fiabilisant Falcon et Eagle) et d’atténuation du bruit. Au point de se montrer 5 fois moins sujet aux erreurs que le processeur Eagle et de réduire les temps de porte à 90ns (contre 600ns pour Eagle).

Heron s’appuie sur une architecture très modulaire basée sur des coupleurs programmables (Tunable Couplers) qui permet de relier entre eux plusieurs processeurs quantiques (QPU) dans une même machine et donc de faire circuler les données entre eux mais aussi de relier ces QPU à une infrastructure de contrôle commune. Plutôt que de multiplier les qubits au sein d’un QPU, l’idée est de multiplier les QPU au sein d’une machine.
Heron utilise aussi un nouveau schéma de portes « multi-qubit » qui se veut à la fois plus rapide et plus fidèle. Plus le nombre de portes d’un processeur est élevé, plus le système peut exécuter des fonctions complexes. Ainsi, selon IBM, Heron permet de programmer des circuits à 3000 portes quantiques. Et pour l’éditeur, ces « 3000 gates » marquent une vraie nouvelle étape dans la course quantique et rend les machines Heron réellement utiles. Pour le marketing IBM, avec Heron, l’informatique entre même dans « l’ère de l’utilité quantique ». Même si pour l’instant, cette dernière est encore balbutiante.
En outre, la conception interne multicouche de ce processeur réduit quasiment à zéro les effets « crosstalks » autrement dit de collision entre qubits.
Enfin, elle utilise également un nouveau schéma de porte multi-qubit qui est à la fois plus rapide et plus fidèle.

Une roadmap focalisée sur la correction d’erreurs et la scalabilité

Et pour IBM, l’avenir des développements est bien porté par Heron plutôt que par Condor, comme en témoigne la nouvelle roadmap.

C’est bien le Heron qui sert de fondation à la nouvelle course quantique d’IBM aux portes quantiques. Le nombre de qubits au sein de processeurs n’évoluera plus vraiment jusqu’en 2029. Mais en multipliant le nombre de processeurs quantiques au sein d’une machine (un peu comme les processeurs actuels multiplient les cœurs), les machines quantiques pourront disposer de plus de qubits jusqu’à atteindre les 1000 qubits de l’actuel Condor.

Dans le même temps, le nombre de portes quantiques utilisables sera, lui, multiplié trente mille fois ! La machine « Starling » prévue pour 2029 devrait embarquer un processeur 200 qubits et 100 millions de portes !

Selon cette roadmap, 2029 devrait constituer un nouveau point d’inflexion. Le Starling, avec ses corrections d’erreur intégrées, marque le début d’une accélération qui nous mènera en 2033 à des machines quantiques à architecture « Blue Jay » dotées de QPU de 2000 qubits et 1 milliard de portes… De quoi faire rêver les technophiles que nous sommes pendant une décennie…

 

 

Un Qiskit en version 1.0

La roadmap IBM montre plusieurs niveaux de lecture puisqu’elle rythme à la fois les évolutions des QPU, les évolutions des architectures matérielles et les évolutions des logiciels quantiques.
Début 2024, IBM va officialiser la version « 1.0 » de son célèbre SDK en open source « Qiskit » en développement depuis plus de 5 ans. Pour IBM, les API de Qiskit sont aujourd’hui suffisamment évoluées pour mériter d’être stabilisées en une version 1.0. Elles permettent notamment d’exécuter des circuits quantiques complexes à travers des unités modulaires composées de processeurs quantiques interconnectés comme le permettra le « Heron » et ses successeurs.