Les relations se sont considérablement détériorées entre les grandes entreprises et les administrations d’une part et les grands fournisseurs et éditeurs de logiciels d’autre part à cause de l’irruption de certaines technologies, dont le cloud, estime le Cigref qui appelle à « un comportement commercial plus mesuré des grands éditeurs, à une relation équilibrée et transparente (gagnant-gagnant) et à des partenariats d’innovation ».

Dans une note de synthèse destinée à la presse, l’organisation présidée par Bernard Duverneuil, DSI d’Elior Group, dénonce « les pratiques contractuelles et commerciales jugées archaïques, voire potentiellement abusives, de certains grands éditeurs qui occupent une position de force sur le marché et paradoxalement risquent d’assécher l’innovation ». Ces fournisseurs – Microsoft, Oracle, Salesforce et SAP en tête (voir ci-dessous) – sont accusés d’utiliser divers mécanismes comme l’adaptation continue des métriques, l’obsolescence programmée des logiciels par l’arrêt du support ou de la compatibilité avec les versions plus récentes pour forcer la montée de version, l’entrée de nouvelles technologies, ou des pratiques commerciales qui pourraient s’assimiler à de la vente liée, le but étant d’augmenter la facturation.

Le Cigref pointe un autre problème récurrent : les audits. Il estime que ce droit des éditeurs à contrôler la conformité de l’utilisation qui est faite de ses licences avec le contrat signé par le client sanctionne bien souvent le décommissionnement applicatif, le choix d’une tierce maintenance, ou encore une stratégie de sortie des services de l’éditeur. Ces « audits de représailles », très présents chez de plus petits éditeurs comme Microfocus, font probablement partie d’une stratégie de préservation de leur chiffre d’affaires estime l’organisation qui s’interroge sur la compatibilité de l’audit avec le secret des affaires, certains éditeurs imposant aux clients « des scripts jugés intrusifs ».

La note dénonce également la facturation des accès indirects pratiquée par SAP. Confronté à la généralisation de l’internet des objets, des API et autres systèmes externes comme l’intelligence artificielle, l’éditeur allemand a introduit une métrique « non humaine » (Indirect/Digital Access) qui débouche sur une augmentation significative des coûts constate le Cigref. Craignant une contagion à d’autres éditeurs, il estime que la propriété intellectuelle est un prétexte commode des éditeurs pour conserver la profitabilité des licences.

Le réseau des grandes entreprises déplore enfin l’assèchement de l’innovation et des solutions alternatives par le rachat de la concurrence et des startups par les grands fournisseurs (Java par Oracle, MuleSoft par Salesforce, ou GitHub par Microsoft). Il estime que dans un marché qui affiche une pénurie de compétences, ces rachats génèrent des difficultés d’intégration des solutions et d’alignement commercial, une problématique particulièrement vraie pour Salesforce « qui peine à gérer sa croissance réalisée par acquisitions ».

Face à la domination du marché par des multinationales, généralement américaines, le Cigref estime nécessaire d’étendre la réflexion à l’échelle européenne. Il indique qu’il travaille dans ce sens avec ses homologues européens réunis au sein d’EuroCIO pour, d’une part, « discuter avec les représentants Europe et Corp. des fournisseurs pour influer sur leurs pratiques » et, d’autre part, « alerter la Commission européenne sur les enjeux de réversibilité, d’interopérabilité, mais aussi de souveraineté, et sur la nécessité de créer ses propres champions européens ».

Menace à peine voilée, le Cigref rappelle que les grandes entreprises et administrations françaises étudient des solutions alternatives comme par exemple l’open source, « dont le modèle ouvert et coopératif est propice à l’innovation et à l’émergence ou à l’attraction des talents ».


MICROSOFT : Un dialogue repris autour d’Office 365 mais des points d’achoppement persistants

Le Cigref, a essentiellement travaillé sur le sujet d’Office 365, suite au durcissement des conditions de renouvellement de contrat sur cette offre par Microsoft. Les discussions ont repris récemment, après une année pendant laquelle l’équipe dirigeante de Microsoft France a connu de nombreux changements.

Six points d’achoppement subsistent :

  • Le durcissement des pratiques commerciales et contractuelles : des commerciaux « chasseurs de prime », des négociations trop longues (6 à 18 mois), des contrats inamovibles.
  • Le manque de prédictibilité tarifaire.
  • La montée de version forcée des Office on premise : due à l’arrêt du support des versions passées, et au problème d’incompatibilité avec la version Office on cloud.
  • La conformité et la co-responsabilité relatives à la mise en place du RGPD.
  • La demande d’assouplissement des pratiques commerciales qui pourraient être assimilées à de la vente liée (elle contraint les entreprises à acquérir des solutions jugées inutiles et parfois non matures).
  • Les constats de dysfonctionnements d’applications critiques, de manque de maturité de certains produits ou services, notamment concernant la sécurité.

ORACLE : Dialogue restauré mais pas d’amélioration sur nos demandes

Suspendu pendant près de 18 mois, le dialogue a repris en novembre 2017 sous l’impulsion de G. Karsenti, alors nouveau DG, lors d’une rencontre très suivie au Cigref. Le départ précipité et inexpliqué 6 mois plus tard de M. Karsenti, bien que perçu négativement par les participants, n’a pas interrompu le dialogue.

Les entreprises dénoncent deux points de blocage. D’une part, la complexité de la gestion des actifs logiciels du fait : de l’environnement virtualisé (notamment avec la non-reconnaissance de solutions de soft partioning comme VMware), du déclenchement de souscription d’options payantes non verrouillables par les entreprises, et de la transformation des modèles de commercialisation et de licences (Java). D’autre part, les incitations à souscrire aux contrats ULA (Unlimited Licence Agreement) et depuis peu, aux offres cloud.

Par ailleurs, les audits restent peu clairs pour les entreprises (modalités de comptage, périmètre, fin d’audit, …) et sont perçus comme un moyen de gonfler le CA de l’éditeur.

SAP : Des discussions engluées sur les usages indirects

Le Cigref est essentiellement concentré sur les accès indirects : d’une part le renforcement des audits sur ces accès, mis en évidence par les contentieux qui ont opposé SAP à Diageo et à d’autre part l’annonce en avril 2017 d’une nouvelle politique tarifaire introduisant les processus « procure to pay » et « order to cash ».

Malgré les efforts fournis, l’éditeur n’a pas su convaincre ses clients d’adopter le nouveau modèle. Nos discussions restent focalisées sur la sécurisation du cadre contractuel et la clarification des usages indirects, vécus comme une véritable épée de Damoclès par les entreprises. L’équipe dirigeante SAP France et Groupe se montre pourtant disponible et réactive, avec notamment la venue de Hala Zeine, SVP Portfolio & Commercialization Strategy au Cigref en juin 2017.

De plus, l’annonce en avril 2018 puis la présentation au Cigref, de la nouvelle politique tarifaire de SAP basée sur une métrique dite « Digital Access » provoque la colère des entreprises. Elles dénoncent l’insoutenable monétarisation des accès indirects au nom « de la protection et de la rémunération de la propriété intellectuelle », avec un surcoût important dans la conversion des métriques. Elles déplorent que l’éditeur démontre par les faits, ne pas tenir compte de la réalité clients, alors qu’il semblait assouplir ses positions dans son discours.

De plus en plus d’entreprises se déclarent prêtes à se désengager, bien qu’elles se sentent captives au regard des produits concernés (coeur de métier).


 

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