Les procès à répétition dans le secteur du numérique – la liste serait bien longue – montrent l’importance croissance de la notion de propriété intellectuelle dans le monde de l’immatériel dans lequel nous sommes immergé.

Quantlab Financial, une société spécialisée dans le trading à haute fréquence, attaque en justice la société SXP Analytics. Le motif : elle affirme que les deux docteurs en physique Ukrainiens qu’elle avait licenciés en 2007 ont volé des algorithmes et autres codes pour développer les programmes de leur nouvelle société SXP Analytics LLC. C’est ce que ce que rapporte le Wall Street Journal dans un article intitulé « Rapid-Fire Traders Fight Over Secret Computer Code ».

Les sociétés spécialisées dans le HFT (High Frenquency Trading)  gagnent de l’argent uniquement à partir des programmes informatiques qu’elles ont développés qui tournent sur des supercalculateurs très puissants leur permettant de gagner des microprofits sur un nombre très élevés de transactions par jour. Selon le cabinet de conseil financier TABB Group, la moitié des échanges sur les marchés financiers aux Etats-Unis se font avec le HFT. Pour sa part, Quantlab Financial représenterait entre 1,9 et 3 % des échanges quotidiens.

Propriété intellectuelle et stratégie d’entreprise

Cet exemple montre l’intensité que prend la propriété intellectuelle (PI) dans ce que l’on appelle aujourd’hui la société de la connaissance. Dans l’économie de l’immatériel, la PI constitue un verrou fondamental car elle commande l’accès au savoir, indique la note d’analyse du Conseil Général à la stratégie et à la prospective intitulée « L’usage de la propriété intellectuelle par les entreprises : quels leviers pour de meilleures pratiques ? »

La propriété intellectuelle dépasse largement les brevets d’invention et inclus la marque commerciale, le droit d’auteur et les droits voisins, les dessins et modèles, les indications géographiques protégées pour ce qui concerne les outils juridiques. Concernant les brevets la position de la France est en phase avec sa situation réelle en matière de R&D. Elle a été classée sixième en déposant par la voie PCT (traité de coopération sur les brevets) en dépense de R&D avec une part d’environ 4 %. Sachant que l’Allemagne est plutôt à 9 % pour les deux paramètres.

Selon le cabinet Winnove, il existe quatre types de stratégies en matière de défense de la propriété intellectuelle.

1. Stratégie défensive
La PI a pour rôle principal de garantir au détenteur (ayant droit) sa liberté d’exploitation, ce qui lui permet de produire des biens et services incorporant le savoir protégé et d’en tirer des revenus après la mise en vente.

2. Stratégie de licence
Les revenus découlent non pas de l’exploitation directe du savoir protégé mais d’une cession de licence à des tiers, en contrepartie du versement de redevances. En pratique, la plupart des grands groupes y recourt en transférant à des tiers des technologies jugées non stratégiques, mais ils en font tout au plus une source financière d’appoint. Les entreprises qui fondent vraiment leur modèle d’affaires sur cette stratégie sont très minoritaires et se trouvent surtout dans le domaine des télécommunications ou du multimédia.

3. Stratégie de coopération
Le troisième peut être qualifié de stratégie de coopération : les droits de PI permettent alors de réduire certains coûts et certains délais en accédant aux ressources cognitives de tiers, que ce soit moyennant des redevances ou en utilisant ces droits comme des actifs négociables dans des projets partenariaux (notamment de R&D). La logique sous-jacente est celle de l’“innovation ouverte” déjà évoquée, où l’entreprise ne se fonde pas seulement sur ses ressources internes et puise aussi dans le savoir de divers partenaires externes.

4. Stratégie de mouvement
Dans le quatrième type – la stratégie de mouvement –, il s’agit, comme dans le premier cas, de se mettre à l’écart de la concurrence, mais cette fois d’une manière moins défensive que préemptive ou dissuasive, pour exclure les concurrents en se réservant des positions concurrentielles à forte marge.

Cette stratégie de mouvement est particulièrement visible dans le cas des technologies de l’information et de la communication (TIC), où la multiplication des dépôts de brevets s’apparente à une course aux armements.

Bien évidemment, ces quatre sortes de stratégies ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent être combinées à des degrés divers. Ainsi, le croisement d’une stratégie de mouvement et d’une stratégie de coopération correspond notamment à des logiques de conquête technologique fondées sur la vitesse.

Cela est le cas de telle ou telle grande entreprise – surtout dans le domaine des TIC, du multimédia et du logiciel – qui va jusqu’à mettre délibérément certaines de ses inventions dans le domaine public ou les cède en licence à des tiers gracieusement ou à des conditions très avantageuses. Par ce biais, les technologies en question ont de meilleures chances d’être plus rapidement et plus massivement adoptées par les utilisateurs et, à terme, de devenir des normes incontournables sur les marchés considérés, où le dit grand groupe se trouve dès lors placé en position avantageuse ; de surcroît, ce dernier limite les risques de litige. Une stratégie de conquête technologique ne passe donc pas nécessairement par des pratiques de verrouillage ou par la maximisation des redevances à court terme.

Vers un brevet unitaire européen 

Dans cette lutte acharnée, les institutions européennes sont en passe d’instaurer un brevet unitaire européen qui offrira une protection dans l’ensemble des pays signataires. Car ce nouveau type de brevet constitue une amélioration importante par rapport au brevet européen en place. Ce dernier n’étant qu’un titre regroupant l’ensemble des droits nationaux que l’ayant droit devait déposer dans les différents pays. Beaucoup d’entreprises ne pouvant supporter le coût des dépôts de brevet dans différents pays.

Un autre progrès significatif doit être signalé suite à l’accord au niveau européen signé en février 2013 et en cours de ratification concernant la création d’une juridiction ayant un siège à Paris et 3 sections spécialisées (Londres, Munich et Paris). Une juridiction qui permettra d’unifier la jurisprudence et mettre un terme à la situation actuelle selon laquelle le tribunal d’un pays participant au système du brevet européen peut par exemple annuler un brevet valide dans un autre pays signataire.