« Le nombre de fonctionnaires en France n’a pas été réduit alors que normalement avec l’informatique, il aurait dû diminuer », c’est ainsi que s’exprimait simplement Jean Tirole, Président de l’école d’économie de Toulouse et Prix Nobel d’économie devant la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale. « Il y a beaucoup de doublons en France à tous les niveaux (…) Il va falloir engager des regroupements : collectivités territoriales, Sécurité Sociale, Formation Professionnelle et remettre à plat toutes ces questions. L’objectif est de fournir le même service mais à moindre coût (…) Si l’on veut améliorer la performance du système public, il en va de sa pérennité ».

Cette situation est-elle en train de changer ? En regard des récents engagements au plus haut sommet de l’Etat en faveur d’une « transformation numérique », les administrations débuteraient-elles une nouvelle étape dans leur appropriation du numérique ? C’est ce qu’analyse la dernière étude du cabinet Markess intitulée « Evolution des systèmes d’information des ministères et opérateurs de l’Etat avec le numérique – France, 2014-2016 ».

Des premières initiatives concrètes ont été lancées à partir de 2003 sous le label e-administration, d’abord par l’agence pour le développement de l’administration électronique (ADAE), puis par la direction générale de la modernisation de l’Etat (DGME) à la fin des années 2000 et désormais le secrétariat pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), mais le terme de « transformation numérique » n’avait encore jamais été mis en avant pour décrire les ambitions de l’Etat dans ce domaine. Indépendamment du terme employé, l’objectif est bien d’enclencher une évolution profonde des pratiques des administrations qui permette d’atteindre l’objectif énoncé par Jean Tirole.

Des directions générales et métiers de plus en plus impliquées

L’objectif de transformation numérique va bien au-delà du développement des usages numériques comme ils l’ont été amorcés ces dernières années. Il s’agit de réorganiser en profondeur le fonctionnement des administrations françaises en intégrant des critères propres au numérique : collaboration, agilité, flexibilité, mise en commun… autant de défis pour des administrations construites autour d’une hiérarchie bien structurée et cloisonnée. Ces évolutions adressent toutes les composantes d’une administration, et à ce titre, des directions se démarquent comme acteurs clés des projets numériques selon les décideurs interrogés par Markess début 2015.

16 Ecoter2Le développement de l’administration numérique va bien au-delà du système d’information, expliquait Céline Faivre, Adjointe à la 16 Ecoter3Chef de Mission Développement de l’Administration Numérique au SGMAP et Guillaume Blot, Chef du service architecture et urbanisation à la DISIC[1] lors du Colloque Système d’information et métier organisé récemment par la Mission Ecoter[2] qui considèrent que cette évolution s’effectue de manière disparate. D’autant que l’Etat d’un côté et les Collectivités Territoriales n’avancent pas à la même vitesse en raison notamment des objectifs poursuivis et des moyens à disposition. La SGMAP a engagé une concertation avec les Collectivités Territoriales car ces dernières « ont du mal à comprendre ce que proposer l’Etat » estime Céline Faivre. Cette concertation s’appuie sur quelques principes directeurs (voir encadré ci-dessous).

La modernisation de l’Action Publique à l’ère du numérique
Le Développement de l’administration numérique et concertation avec les collectivités territoriales est régi par quelques principes directeurs :
– Une confiance a priori dans les échanges numériques entre Etat et collectivités
– Une accélération de la dématérialisation de « bout en bout » des échanges inter-administratifs
– « Une seule Administration numérique visible » pour l’Usager (approche cross-canal de la gestion de la relation Usager)
– Une stratégie d’ouverture des données publiques déclinée dans les territoires au service des politiques publiques
– Une stratégie de plateforme Etat déclinée dans les territoires pour concevoir autrement les services publics numériques

Au fond, cette réforme s’appuie depuis le 1er août 2014 sur la mise en place d’un SI unique placé sous la responsabilité de la DISIC. Cette démarche mise en mise par France Connect[3] (voir encadré ci-dessous) s’appuie sur la collaboration de différents acteurs et doit conduire à la mise en œuvre ce que l’on appelle « l’État-plateforme » censée garantir une gestion unique des identités dans une logique de continuité entre les services en ligne et les guichets.

Etat plateforme & France Connect
La démarche : quatre chantiers principaux lancés
– Définir un cadre (règles) d’architecture des systèmes d’information développés par l’Etat, les opérateurs ou les partenaires apte à répondre aux grands enjeux de la stratégie plateforme et qui s’applique à tous.
– Offrir un mécanisme d’identité numérique des usagers baptisé France Connect – véritable chaîne de confiance – facilitant l’accès aux différents services offerts, permettant le suivi ou le contrôle par l’usager des échanges de données le concernant et garantissant la confidentialité des informations (« privacy »).
– Encourager et valoriser :
l’exposition des données détenues par les administrations,
la mutualisation de services.
– Soutenir la fabrication en mode agile de nouveaux services innovants et répondants aux besoins des usagers ainsi qu’aux décisions de simplification.

 

Le rôle pivot de la DSI

 

Si la DSI conserve un rôle majeur pour 60% de ces décideurs, les directions générales (ou directions de services équivalentes) arrivent en tête des services les plus proactifs en matière de numérique. Ce constat est positif au vue des importants enjeux organisationnels qui se profilent pour véritablement mettre en œuvre la « transformation numérique » des administrations. Les directions métiers arrivent, quant à elles, en 3e position. La hiérarchie entre ces différentes entités n’est pas la même

 

Des dissonances sont néanmoins perceptibles entre les ministères et leurs opérateurs (organismes sous tutelle de la sphère sociale, culturelle, de la recherche…). Ces derniers révèlent en effet une organisation plus traditionnelle pour conduire leurs chantiers numériques, avec les services informatiques en tête des directions pro-actives, suivi des métiers et enfin des directions générales, alors que les ministères inversent ce classement avec les directions générales en tête, suivi des métiers et les services informatiques. La compréhension des enjeux du numérique au-delà des aspects techniques serait-elle plus mature au sein des ministères ?

 

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[1] La DISIC, Direction Interministérielle des Systèmes d’Information et de Communication, est la DSI Groupe de l’Etat.
[2] La Mission Ecoter est une association qui organise des échanges entre les Collectivités Territoriales et les entreprises sur le Développement des systèmes de communication et d’information dans les collectivités territoriales
[3] La mission de France Connect est le fédérateur d’identité commun à tous les services en ligne des administrations